4.6.10

Filmer, folie du percevoir, c’est chercher à prendre possession du Presque-rien d’espace et du Presque-rien de temps

En cliquant sur le titre ci-dessus "Filmer, folie du percevoir, c’est chercher à prendre possession du Presque-rien d’espace et du Presque-rien de temps" vous accéderez au lien de la vidéo Sixtine C..


« La suppression des intermédiaires aussi bien dans l’espace que dans le temps aboutit à quelque chose qui est un immédiat à la fois spatial et temporel et dans laquelle la Présence et le présent sont une seule et même chose. 
La Présence qui est la suppression au maximum de l’espace. 
Le présent qui est la suppression des intervalles dans le temps, qui est la réduction du temps au minimum, la minimisation du temps. Donc, en ce point, présence et présent ne sont plus qu’une seule et même chose. » (1)




« Il semble d’abord que deux formes de proximité lointaines, d’immédiateté, se présentent à nous. Proximité, d’abord : comme le mot l’indique, est un superlatif, mais un superlatif qui peut aussi bien être temporel que spatial, mais qui est d’abord spatial, la chose la plus proche de nous. Donc, si vous le voulez, en prenant la chose à l’envers, le besoin de ce superlatif de la proximité dans l’espace et dans le temps, représente, en parlant à rebours, le besoin d’un minimum d’espace et d’un minimum de temps. La proximité dans l’espace c’est le minimum d’espace, après lequel, au-delà duquel il y aurait compénétration de deux existences. La proximité est donc l’existence la plus prochaine de la mienne, tout en restant distincte de la mienne. De telle manière qu’au-delà de cette proximité, il n’y aurait que la coïncidence, il n’y aurait qu’une seule existence en deux.
En quel point assigner l’existence la plus prochaine, la proximité, qui pourtant ne soit pas la coïncidence ? » (2)



En paysage premier, d’abord, il y a interpellation du lieu, interpellation d’un objet. 
Filmer un objet qui m’interpelle, dont l’intervalle entre lui et moi est fait de curiosité (pulsion scopique), c’est chercher à le connaître, à découvrir par l’intermédiaire de l’œil-caméra ce que l’on ne saurait voir à l’œil nu et instantanément (d’un seul coup d’œil : l’œil-caméra permet un rapprochement en macro qui abolit la distance naturelle de notre œil nu à l'objet, donne à voir des Presque-rien d'espace.) 
Filmer un objet qui m’interpelle, dont l’intervalle entre lui et moi est fait de curiosité, c’est chercher à prendre possession de tous les intervalles de durée, de tous les instants qui se succèdent (les Presque-rien de temps de Jankélévitch) et forment la durée : l’épaisseur d’un présent. Un présent d’une demi-heure, par exemple, pour Sixtine C.. C’est ce qui a lieu dans Machina perceptionis, qui est ce jeu de relations entre mon œil-caméra et l’objet. Oeil-caméra dans ma paume, prothèse intégrée à mon corps, il en fait partie ; œil-caméra incarné, mis en mouvement, animé par mon corps et ma curiosité : folie du percevoir en action. 
Désir d’abolir la distance spatiale ; désir de posséder les Presque-rien de temps, les instants qui se succèdent et forment la durée du présent. Le contenu de ce désir est : connaître ma relation à l’objet, à l’espace et au temps dans ce milieu-là qui m’interpelle. Machina perceptionis crée des séquences inédites, encore non-vues, expérimente des rapports de perception déclinés en tableaux-vidéos.



« Assigner le point de l’immédiat. Le minimum d’espace. Et aussi, le minimum de temps. Nous dirions en d’autres termes, dans un autre langage (…) : un Presque-rien d’espace et un Presque-rien de temps. Non pas un rien d’espace, ni un rien de temps — car le rien d’espace c’est la compénétration des existences, c’est une seule existence en deux ; le rien de temps, parce que ce rien de temps c’est l’instantanéité pure ou l’éternité —, mais le Presque-rien qui est bien différent. 
Donc, la moindre distance, le moindre intervalle de durée, par exemple, en parlant du temps, le moindre intervalle de durée, la plus petite durée possible dont la limite serait le point (…) de la coïncidence dans l’espace, ou encore l’instant de la simultanéité, dans le temps.
La limite de la proximité dans l’espace serait le point de la coïncidence.
La limite de la proximité dans le temps serait le point de la simultanéité, qui est un instant. On appelle instant ce point qui n’a même pas la position dans l’espace, qui est donc encore plus un Presque-rien que le point qui tout au moins est une situation dans l’espace, réduit à l’élément pur de la situation, qui n’a pas d’étendue, de longueur d’étendue, mais qui est tout de même situé dans l’espace. Ce qui n’est pas le cas de l’instant. Donc, un quasi-nihil, un Presque-rien, tel est notre problème. 
Le problème de l’immédiat, la recherche de l’homme, le contact de l’homme avec l’immédiat (…) c’est l’abolition des dimensions. L’abolition d’abord des dimensions dans l’espace, des trois dimensions qui donnent une épaisseur à l’espace et qui me séparent de la chose, donc le quasi-nihil qui est d’abord la nihilisation, c’est-à-dire la réduction à rien des dimensions comme il arrive dans un point. Et d’autre part, la réduction, également, la compression (en employant des métaphores qui forcément ne peuvent être que spatiales), la compression du temps jusqu’à l’extrême limite au-delà de laquelle il n’y aurait plus que l’instant.
Cette abolition des dimensions de l’espace et cette abolition de la dimension temporelle est bien propre à nous donner le vertige. » (3)



(1) (2) (3) Vladimir Jankélévitch, cours à la Sorbonne sur L’immédiat, enregistrement sonore ©2002 INA – Frémeaux & Associés – Mme Lucienne Jankélévitch