23.6.10

C'est "temporellement" que je médite sur le temps

Béatrice Berlowitz : Et pourtant tout n’est jamais perdu, il suffit d’attendre et de savoir que vous prenez votre temps. Car, insidieusement, vous semblez promettre une rive au naufrage ; vous renforcez, vous noircissez les ronces pour mieux émouvoir avec la rose qui s’y cache…

Vladimir Jankélévitch : Mais cette rose, ce n’est pas moi qui l’ai cachée ! Le temps est l’objet par excellence de la philosophie, un objet qui n’est pas un « objet », un objet qui n’est rien, et qui est pourtant quelque chose : qui est donc presque rien. Le temps est quelque chose qui n’est rien ; qui est tout ! qui est tout et rien. Non qu’il soit intermédiaire entre l’être et le non-être (il serait alors une station équidistante dans l’espace) ni qu’il soit je ne sais quel mélange des deux, je ne sais quelle moyenne. Serait-il, sinon à mi-chemin de l’un et de l’autre, du moins sur le chemin de l’un à l’autre, toujours en route, comme un mobile qui se rapproche de son but ? Non, il n’est rien de tout cela ! Alors qu’est-il décidément ? En deçà de tout ? au-delà de tout ? Impondérable, impalpable et invisible, et infiniment décevant, comme toutes les choses vraiment importantes. On ne peut ni le peser, ni le toucher, ni le voir. D’autre part cet objet si ambigu n’est ni objet ni sujet… Or le temps que je prends non seulement à développer l’intuition, mais à me débarrasser de tout ce qui n’est pas elle, ce temps est lui-même le premier mystère philosophique. Le temps a devancé le travail préparatoire de la catharsis, le raisonnement et le discours ; le temps est déjà là, sous la lampe, assis à notre table ; il est déjà là, pensée pensante en train de penser. Il est déjà là, et, comme l’humour, il n’est déjà plus là ; et par exemple, en ce moment même il s’écoule… Ironie des ironies ! Sainte pétition de principe ! C’est dans le temps que je cherche ce qu’est le temps. Ou plutôt (car la préposition dans est encore trop spatiale) : c’est temporellement que je médite sur le temps. Le travail philosophique est un cercle où l’on tourne sans fin, courant derrière le temps qui fuit. Objet prévenant, englobant, objet évasif, rebelle à toute spatialisation, objet décevant, objet qui est encore le sujet ! Je suis enveloppé dans les bandelettes du temps, et de telle manière que l’acte par lequel j’en parle est déjà dans le temps. La tradition veut que l’espace et le temps soient les deux formes a priori de la sensibilité, — et l’on parle de ce couple-là comme de frères jumeaux ; espace et temps se feraient pendant comme deux candélabres de part et d’autre de la pendule. Appelons cela le mythe de la garniture de cheminée… Certes, l’espace, comme le temps, m’enveloppe, mais au moment où je l’érige en problème ou en spectacle, ma pensée lui demeure extérieure et il devient objet. Au contraire la pensée est nécessairement et continuellement dans le temps ; ou plutôt elle est toute temporelle, car si elle était « dans » le temps comme un contenu dans son contenant, nous transformerions à nouveau le temps en récipient, c’est-à-dire en espace ! Penser le temps c’est accomplir un voyage irréversible au cours duquel il faut que la pensée se saisisse elle-même ; penser le temps c’est penser réflexivement l’opération de la pensée ; si bien que l’intuition ne se situe en réalité ni au bout du livre, ni au terme du discours, ni à la fin du temps. Faire de l’intuition une enceinte privilégiée, lieu de prière et d ‘adoration vers lequel tous les chemins de la pensée convergent, nous condamnerait à une sorte de mystique dogmatique. Voici la rose que je vous avais promise, elle est là enfin ! Or cette rose est pour moi une compagne fidèle qu’il s’agit à la fois de préserver, de cacher, de mériter ; sans cesse nous devons la débarrasser de ses épines, sans cesse nous devons arracher ce qui nous empêche de respirer son parfum et de voir ses couleurs. Chaque fois il faut recommencer… Compagne sans cesse retrouvée, sans cesse reperdue. Tel serait, dans un registre tout opposé, le mystère de la mort : je ne connais pas mieux la mort à la fin de la recherche qu’au début, je ne connais pas mieux la mort à la fin de la vie qu’au début, car le mystère qu’elle éveille n’est pas une chose cachée quelque part, tapie dans un coin ; ce mystère est immanent à la totalité de la recherche. Si cette rose avait été secrètement déposée dans une cachette, la recherche ne serait en effet qu’une feinte, un simple stratagème destiné à nous conduire au port ; une recherche pour faire semblant. Or la terre promise est une terre éternellement compromise !

Quelque part dans l’inachevé
Vladimir Jankélévitch & Béatrice Berlowitz
Entretiens, éditions Gallimard, 1978

22.6.10

Cet acharnement à reprendre sans cesse, à poursuivre sans répit une chose continuellement reperdue

Béatrice Berlowitz : Cet acharnement à reprendre sans cesse le problème, à poursuivre sans répit une chose continuellement reperdue, n’indique ni un progrès ni une répétition ; c’est en quelque sorte la maladie chronique, celle de l’homme malade du temps.

Vladimir Jankélévitch : C’est le temps lui-même qui nous contraint à cet acharnement ; je dois sans cesse m’assurer de cette évidence pour qu’elle ne redevienne pas ambiguë : car c’est le temps qui me l’a soustraite, de par sa fugacité et son irréversibilité. L’irréversibilité n’est pas une propriété du temps : c’est le temps lui-même qui est l’irréversibilité elle-même ; il n’y a pas d’autre irréversibilité que celle du temps, et pas de temps qui ne soit irréversible ! L’irréversibilité se définit comme l’impossibilité de la répétition, et l’impossibilité de la répétition implique l’impossibilité de la confirmation. L’irréversible porte l’insaisissable à son comble : le devenir devenant toujours sans revenir et progressant toujours dans le même sens, les recommencements sont impossibles et les repentirs inefficaces ; la deuxième fois prend la suite de la première et elle est donc une autre, même si elle n’est pas nouvelle, même si elle répète la première fois littéralement. L’événement irréversible ne laisse derrière soi qu’une image de plus en plus effacée, à peine une idole, un reflet infiniment douteux, et finalement plus rien…Comment serait-on sûr de ce qu’on n’a qu’une seule fois et qu’un seul instant effleuré ? Et par suite comment savoir où finit le scrupule justifié, ou commence la maladie du doute ? C’est ainsi que le maniaque, ayant mis une lettre à la boîte, revient sur ses pas pour voir si la lettre n’est pas tombée à côté ou si la boîte est toujours là… Et le pire, c’est que les lettres se perdent parfois, quelques précautions que l’on prenne, et justement parce que l’on en prend trop ! Nous croyons avoir mis la lettre alors que nous ne l’avons pas mise, nous croyons nous répéter quand nous n’avons encore rien dit, ou inversement, nous croyons dire une chose nouvelle quand nous ne faisons que radoter. Car il faut compter avec le malin génie de l’oubli et de la distraction. L’oubli n’est-il pas diabolique ? Le temps nous fait des niches, comme le malin génie de Descartes… Le vide du temps : c’est peut-être cela le diable de l’oubli ! L’être temporel et fini ne saurait penser à tout ; la capacité limitée de notre esprit fait que l’attention a une chose a pour rançon la distraction et l’innocence par rapport aux autres. La plus irritantes, la plus amère dérision, c’est donc que le scrupule maniaque soit parfois justifié ! Tantôt les faits lui donnent tort, tantôt ils lui donnent raison… Cette ambiguïté tient à l’irréversibilité du temps qui fait de chaque événement une première-dernière fois, la première fois étant aussi la dernière ? D’une part chaque fois est une pointe aiguë, unique dans toute l’éternité, et par conséquent incomparable, irremplaçable, inimitable, inestimable ; plus que rarissime : précieuse infiniment ; la valeur de l’unique est à proprement parler inévaluable ; tel est le fait d’avoir été, d’avoir vécu, d’avoir aimé. Mais d’autre part la chose infiniment précieuse devient à la longue infiniment douteuse si elle n’est jamais répétée. C’est ici la misère de la temporalité et de la mortalité qui donne un sens profond à la répétition. Une chose que l’on m’a dite et que personne n’a jamais répétée, c’est comme si elle n’avait jamais été dite ; elle se perd, souvenir indiscernable de l’oubli, dans le lointain des âges et la nuit des siècles. L’accumulation des années, à la limite, rend déjà tout témoignage incertain. Une chose qui est arrivée, mais une seule fois, est-elle vraiment arrivée ? J’ai habité Prague dans ma jeunesse, tout le monde répète et m’assure et me confirme que c’est la plus belle ville du monde ; mais comme je ne suis jamais revenu dans la plus belle ville du monde, j’en viens à me demander : est-ce bien moi qui ai vécu à Prague ? Etait-ce à Prague ? Etait-ce moi ? N’ai-je pas confondu mes souvenirs avec ceux d’un autre ? Et il en est ainsi de tout ce qui est advenu une seule fois dans l’éternité, et puis jamais plus ! Never more ! Le premier-dernier baiser, la primultime rencontre. Un doute éternel enveloppera dans son linceul d’incertitude ce qui jamais ne fut réitéré. Et c’est pourquoi nous implorons la chance : encore une fois, une toute petite fois, de grâce, une humble petite deuxième fois pour confirmer mon affirmation ; car la vérification commence avec cette grâce de la secondarité. Dieu lui-même s’y prend à deux fois pour graver les tables de la loi, la première est tout entière brisure et oubli… Le renouvellement continué est donc une nécessité vitale ; cette rose dont nous parlions doit être à tout moment réanimée, réveillée, réinventée, protégée contre les dangers et les négations ; cette rose du souvenir est à tout moment sur le point de se faner ; elle ne promet pas un dénouement, elle ne marque pas l’avènement d’une vie nouvelle : hic incipit vita nova, annonçaient ceux qui furent touchés par la grâce. Or il n’est question ici ni de grâce, ni de terme, ni de lumière fondatrice ; la vérité qui se découvre est dans le mouvement et le perpétuel recommencement.

Quelque part dans l’inachevé
Vladimir Jankélévitch & Béatrice Berlowitz
Entretiens, éditions Gallimard, 1978

La déception

Vladimir Jankélévitch : C’est bien par la déception que l’homme expérimente la défaillance du temps et sa propre impuissance à donner une suite à l’instant béni. Et après ? interroge le déçu qui aurait voulu éterniser la minute bienheureuse, profiter de cet éclair pour inaugurer une ère nouvelle. Comment faire pour que la vie soit durablement embellie et transfigurée ? pour que tout soit neuf et véritable, pour que tout recommence aujourd’hui avec ce merveilleux printemps de notre seconde naissance ?
« Maintenant nous allons vivre », chante Ulysse quand il retrouve enfin sa Pénélope. Hélas ! ils vont vivre et le rideau tombe : car l’opéra de Fauré s’en tient là. Hélas, ou heureusement ? Nous ne saurons jamais ce que sera cette vita nova que les amants allaient vivre. Mais personne ne nous empêche d’imaginer le lendemain et le surlendemain de cette grande fête : une fois installé dans son palais d’Ithaque, voilà qu’Ulysse cesse de conter ses aventures, il est distrait, taciturne, il ne mange plus la soupe de l’épouse ; la ride de la conscience soucieuse jette une ombre sur son front et ternit l’innocence de son bonheur. Visiblement Ulysse comblé pense à autre chose… A quoi pense-t-il, Ulysse ? A Calypso, la toute belle ? Au pouvoir enchanteur des Sirènes ? Non, il ne pense à rien en particulier ; ce qui lui manque, c’est quelque chose d’autre, que le retour à la fois consacre et abolit : c’est le malheur du bonheur suprême, qui est un malheur métaphysique, et c’est la tristesse de la joie, qui est tristesse immotivée ; Ulysse regrette l’instant où il a confusément entrevu Ithaque, l’instant où l’île de son espoir hésitait encore entre l’inexistence et l’existence. Le regret, bien entendu, est pure folie. Plus fou encore sera le nouveau départ qui se trame dans cette déception sans causes ; la première odyssée, l’odyssée du retour à la terre natale, était rationnelle auprès de la seconde odyssée, celle que nous raconte Kazantzaki, le second Homère, et qui est la folle odyssée de l’exil volontaire, de l’errance dans l’infini et de la mort. Errance sans but, départ sans causes, malheur gratuit ! Hélas ! Il était dit que notre temps de paradis devait tourner court, que cet éclair ne serait qu’une soudaine et fugitive déchirure dans le ciel bas de notre destin. Disons que la joie-éclair, la joie-étincelle est une sorte de tangence ; un effleurement et puis, plus rien ! Le point de tangence est bien un point au bout d’une pointe, mais si l’homme peut y atteindre, il ne peut s’y maintenir ; l’instant ne dure qu’un instant, c’est-à-dire qu’il ne dure pas. L’attouchement impondérable est déjà bien loin de moi (…) Aussi courons-nous éperdument après l’idée qui nous échappe, et nous sommes essoufflés comme celui qui court à la poursuite d’une amie perdue pour la rejoindre, la retenir, lui faire rebrousser chemin. Le temps nous fait haleter parce que l’idée est l’occasion fugace, et parce que l’occasion nous effleure d’une touche légère, si légère, légère comme un souffle léger ; les stigmates dont la tangence marqua, dit-on, saint François, paraissent grossiers auprès d’elle ; l’occasion est passionnante à la manière d’une nostalgie anticipée, parce que l’occasion est brève comme un songe et jamais ne se reproduira.

Quelque part dans l’inachevé
Vladimir Jankélévitch & Béatrice Berlowitz
Entretiens, éditions Gallimard, 1978

14.6.10

Exspectatio (1er volet) : installation tableaux-vidéo triptyque

En projection avec 3 noirs interposés entre chacun des 3 moments ou
3 écrans plats Lcd 4/3,
promenade en filmé-monté (34') découpée en trois moments :


1er écran :
6'15


- Titre 24"
- Chardon 2'26
- Feuille rouge 1'44
- Herbes I-II-III ; puis noir (23'45).


2cd écran :
13'17


- Panorama des chaumes 1'47
- Flaque bleu-noir 1'52
- Travelling à pied du tunnel en sous-bois 3'36 ; puis noir (20'27).




3ème écran :
21'04

- Mûres 0'39
- Mûrier à la toile d'araignée 6'12
- Panorama aux ballots de paille 4'03
- Mûrier 1'53
- Mûres floues 4'31
- Mûres noires lueur 2'33
- Copyright & noir 30"

4.6.10

Filmer, folie du percevoir, c’est chercher à prendre possession du Presque-rien d’espace et du Presque-rien de temps

En cliquant sur le titre ci-dessus "Filmer, folie du percevoir, c’est chercher à prendre possession du Presque-rien d’espace et du Presque-rien de temps" vous accéderez au lien de la vidéo Sixtine C..


« La suppression des intermédiaires aussi bien dans l’espace que dans le temps aboutit à quelque chose qui est un immédiat à la fois spatial et temporel et dans laquelle la Présence et le présent sont une seule et même chose. 
La Présence qui est la suppression au maximum de l’espace. 
Le présent qui est la suppression des intervalles dans le temps, qui est la réduction du temps au minimum, la minimisation du temps. Donc, en ce point, présence et présent ne sont plus qu’une seule et même chose. » (1)




« Il semble d’abord que deux formes de proximité lointaines, d’immédiateté, se présentent à nous. Proximité, d’abord : comme le mot l’indique, est un superlatif, mais un superlatif qui peut aussi bien être temporel que spatial, mais qui est d’abord spatial, la chose la plus proche de nous. Donc, si vous le voulez, en prenant la chose à l’envers, le besoin de ce superlatif de la proximité dans l’espace et dans le temps, représente, en parlant à rebours, le besoin d’un minimum d’espace et d’un minimum de temps. La proximité dans l’espace c’est le minimum d’espace, après lequel, au-delà duquel il y aurait compénétration de deux existences. La proximité est donc l’existence la plus prochaine de la mienne, tout en restant distincte de la mienne. De telle manière qu’au-delà de cette proximité, il n’y aurait que la coïncidence, il n’y aurait qu’une seule existence en deux.
En quel point assigner l’existence la plus prochaine, la proximité, qui pourtant ne soit pas la coïncidence ? » (2)



En paysage premier, d’abord, il y a interpellation du lieu, interpellation d’un objet. 
Filmer un objet qui m’interpelle, dont l’intervalle entre lui et moi est fait de curiosité (pulsion scopique), c’est chercher à le connaître, à découvrir par l’intermédiaire de l’œil-caméra ce que l’on ne saurait voir à l’œil nu et instantanément (d’un seul coup d’œil : l’œil-caméra permet un rapprochement en macro qui abolit la distance naturelle de notre œil nu à l'objet, donne à voir des Presque-rien d'espace.) 
Filmer un objet qui m’interpelle, dont l’intervalle entre lui et moi est fait de curiosité, c’est chercher à prendre possession de tous les intervalles de durée, de tous les instants qui se succèdent (les Presque-rien de temps de Jankélévitch) et forment la durée : l’épaisseur d’un présent. Un présent d’une demi-heure, par exemple, pour Sixtine C.. C’est ce qui a lieu dans Machina perceptionis, qui est ce jeu de relations entre mon œil-caméra et l’objet. Oeil-caméra dans ma paume, prothèse intégrée à mon corps, il en fait partie ; œil-caméra incarné, mis en mouvement, animé par mon corps et ma curiosité : folie du percevoir en action. 
Désir d’abolir la distance spatiale ; désir de posséder les Presque-rien de temps, les instants qui se succèdent et forment la durée du présent. Le contenu de ce désir est : connaître ma relation à l’objet, à l’espace et au temps dans ce milieu-là qui m’interpelle. Machina perceptionis crée des séquences inédites, encore non-vues, expérimente des rapports de perception déclinés en tableaux-vidéos.



« Assigner le point de l’immédiat. Le minimum d’espace. Et aussi, le minimum de temps. Nous dirions en d’autres termes, dans un autre langage (…) : un Presque-rien d’espace et un Presque-rien de temps. Non pas un rien d’espace, ni un rien de temps — car le rien d’espace c’est la compénétration des existences, c’est une seule existence en deux ; le rien de temps, parce que ce rien de temps c’est l’instantanéité pure ou l’éternité —, mais le Presque-rien qui est bien différent. 
Donc, la moindre distance, le moindre intervalle de durée, par exemple, en parlant du temps, le moindre intervalle de durée, la plus petite durée possible dont la limite serait le point (…) de la coïncidence dans l’espace, ou encore l’instant de la simultanéité, dans le temps.
La limite de la proximité dans l’espace serait le point de la coïncidence.
La limite de la proximité dans le temps serait le point de la simultanéité, qui est un instant. On appelle instant ce point qui n’a même pas la position dans l’espace, qui est donc encore plus un Presque-rien que le point qui tout au moins est une situation dans l’espace, réduit à l’élément pur de la situation, qui n’a pas d’étendue, de longueur d’étendue, mais qui est tout de même situé dans l’espace. Ce qui n’est pas le cas de l’instant. Donc, un quasi-nihil, un Presque-rien, tel est notre problème. 
Le problème de l’immédiat, la recherche de l’homme, le contact de l’homme avec l’immédiat (…) c’est l’abolition des dimensions. L’abolition d’abord des dimensions dans l’espace, des trois dimensions qui donnent une épaisseur à l’espace et qui me séparent de la chose, donc le quasi-nihil qui est d’abord la nihilisation, c’est-à-dire la réduction à rien des dimensions comme il arrive dans un point. Et d’autre part, la réduction, également, la compression (en employant des métaphores qui forcément ne peuvent être que spatiales), la compression du temps jusqu’à l’extrême limite au-delà de laquelle il n’y aurait plus que l’instant.
Cette abolition des dimensions de l’espace et cette abolition de la dimension temporelle est bien propre à nous donner le vertige. » (3)



(1) (2) (3) Vladimir Jankélévitch, cours à la Sorbonne sur L’immédiat, enregistrement sonore ©2002 INA – Frémeaux & Associés – Mme Lucienne Jankélévitch