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Sixtine C.
“installation-tableau-vidéo-domestique”
subvertit la communication efficace et informative
des images télévisuelles & de communication de masse.
La durée du plan-séquence est la forme de la jouissance, de la délectation baroque. Le plaisir de percevoir pour lui-même.
La durée est un luxe dans notre société d’information où l’on ne reste jamais nulle part, où l’on n’a pas le temps de sentir en profondeur. Prendre plaisir, au sens de jouir de ce que notre corps reçoit certaines formes (1). Éprouver l’ennui dans l’expérience et apprendre ce que l’on peut gagner à qui sait s’ennuyer.
Toute expérience a lieu dans une durée. Elle n’est pas une donnée instantanée, neutre et pré-mâchée. Mais une progression dans une durée. Elle s’acquiert dans le temps. Sentir, voir, éprouver, percevoir, c’est toujours se donner le temps de l’expérience. Connaître par l'expérience est une épreuve a valeur initiatique : un cheminement, avec ses stagnations, ses degrés à franchir, ses avancées par paliers.
Filmer consiste à se sentir voir, entendre… c’est faire l’expérience du regard, avec tout son corps, dans le lieu.
Regarder ce qui a été filmé dans ces conditions c’est éprouver son regard de spectateur. Une expérience en soi et non une donnée informative qui serait reçue sans engagement. Le spectateur est mis en situation de rejouer l’activité du filmage. Les plans-séquences de cette nature requièrent l'acquiescement du spectateur à vivre cette altération du temps.
L’action de filmer est une “ouverture à une poétique du corps.” (2) Filmer dans la durée comme “répétition obstinée d’une chose (a priori) inutile” qui “n’a (a priori) pas accès au réseau symbolique de l’œuvre” (3) est ce qui détermine le baroque en tant que jeu.
Le jeu a sa finalité en lui-même. Son propos n’est pas l’acheminement d’un message mais son gaspillage (au sens qu’il consume une énergie & du temps) en fonction du plaisir.
Dépense baroque. Délectation.
La folie du percevoir (4) est cette obstination à filmer malgré tout.
Á chercher dans les images qui se déploient dans le présent et la répétition du même, avec d’infimes variations (comme en musique répétitive ou comme la “basse continue” de celle baroque), presque même, dans la recherche qui ne sait pas si elle va trouver quelque chose, un événement.
L’événement est ce qui est utile, l’utile par excellence de la société de la consommation et de l’information.
L’absence d’événement dans cette durée, qui cherche et trouve le seul plaisir de l’image qui advient, est de l’ordre de la subversion baroque.
« Qu'est-ce que l'événement ? Nous venons de le dire : une brusquerie efficace. Cette brusquerie même peut être relative ou absolue, contact et contraste entre deux développements inégaux, ou mutation à l’intérieur de l’un d’entre eux. Une forme peut obtenir la qualité novatrice et révolutionnaire sans être événement par elle-même, et du simple fait qu’elle est transportée d’un milieu rapide dans un milieu lent, ou inversement. » Henri Focillon in
« Vie des formes ».
S.T.
Notes
(1 )« Le corps est “informé” (il reçoit la forme) de ce qui lui arrive [ainsi] bien avant que l’intelligence en ait connaissance. » Michel de Certeau, in « La Fable mystique »
(2) Michel de Certeau, in « La Fable mystique »
(3) Severo Sarduy, in « Barroco », Seuil, 1975 ; écrit aussi au chapitre « Économie » :
« être baroque aujourd’hui signifie menacer, juger et parodier l’économie bourgeoise, basée sur une administration radine des
biens ; la menacer, juger et parodier en son centre même et son fondement : l’espace des signes, le langage, support symbolique de la société et garantie de son fonctionnement par la communication. Dilapider du langage en fonction uniquement du plaisir — et non, comme le veut l’usage domestique, en fonction de l’information — : attentat à ce bon sens moraliste et naturel — « naturel » comme le cercle de Galilée — sur lequel se fonde toute l’idéologie de la consommation et de l’accumulation. Le baroque subvertit l’ordre supposé normal des choses, comme l’ellipse — ce supplément de valeur — subvertit et déforme le tracé du cercle, que la tradition idéaliste supposait parfait en tout. »
(4) Christine Buci-Glucksmann, in « La folie du voir : De l’esthétique baroque », Galilée, 1986. Repris in « La folie du voir : Une esthétique du virtuel », ch. « Le travail du regard », Galilée, 2002.
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Extrait 1/3 :