17.1.10

La "déposition" du regard

Quand je filme un détail du paysage qui m'interpelle, ce que Lacan ci-dessous appelle le "dépôt", l'"abandon", le fait de "déposer le regard", s'applique tout aussi bien à une invitation du paysage lui-même.
Ce que je vois (avec mon œil) du réel me convie à le regarder en déposant mon regard. C'est une sorte de soumission douce dans laquelle quelque chose m'est donné.
Puis, je le rends au monde, je donne à voir cette expérience du regard sous la forme d'un tableau vidéo.
La "déposition" du regard est dans le tableau lui-même.
La déposition est avec mon regard. Elle se situe dans mon rapport avec ce que je vois, comme dans la contemplation.
"Contemplation" est à l’origine un terme de la langue augurale (dans la Rome antique) — composé de cum (avec) et de templum au sens ancien de « espace carré délimité dans le ciel et sur terre par l’augure, pour interpréter des présages ». Cet espace virtuel, sans n’avoir plus de visée augurale, est le tableau du Voir, délimité par le cadre de la caméra fouillant dans l’image du réel, se laissant guider par la lumière sur les choses.
[Cf le "tableau filmé" de la lumière sur l'eau dans "étang peinture, La Sourdaie", vidéo plus bas. Tout aussi bien “Spatola (delectatio)”-1ère vidéo de Sicile, 2008.]

In « LES QUATRE CONCEPTS FONDAMENTAUX DE LA PSYCHANALYSE » de Jacques Lacan –
ch. DU REGARD COMME OBJET PETIT a
ch. VIII La ligne et la lumière

« Le peintre, à celui qui doit être devant son tableau, donne quelque chose qui, dans toute une partie, au moins, de la peinture, pourrait se résumer ainsi — Tu veux regarder ? Eh bien vois donc ça ! Il donne quelque chose en pâture à l’œil, mais il invite celui auquel le tableau est présenté à déposer là son regard, comme on dépose les armes. C’est là l’effet pacifiant, apollinien, de la peinture. Quelque chose est donné non point tant au regard qu'à l'œil, quelque chose qui comporte abandon, dépôt, du regard. »





10 dernières minutes des 20 min 30 de "étang peinture, La Sourdaie"
XI 2009

13.1.10

La bobine de Freud, l'objet petit "a" de Lacan & La plongée (Syracuse)

J'ai lu ce texte de Lacan au moment où j'exhumais de mes archives filmées d'Italie 2008, ce que j'intitule "La plongée (Syracuse)" (cf l'article ci-après).
Le lien progressif entre ce texte et cette vidéo me frappe.



DE LA BOBINE DE FREUD À L’OBJET PETIT "a" DE LACAN
In « LES QUATRE CONCEPTS FONDAMENTAUX DE LA PSYCHANALYSE » de Jacques Lacan
ch. II L’inconscient et la répétition
sous ch. V "Tuché" et "automaton"

« Freud, lorsqu’il saisit la répétition dans le jeu de son petit-fils, dans le "fort-da" (ici-là) réitéré, peut bien souligner que l’enfant tamponne l’effet de la disparition de sa mère en s’en faisant l’agent — ce phénomène est secondaire. Wallon le souligne, ce n’est pas d’emblée que l’enfant surveille la porte par où est sortie sa mère, marquant ainsi qu’il s’attend à l’y revoir, mais auparavant, c’est au point même où elle l’a quitté, au point qu’elle a abandonné près de lui, qu’il porte sa vigilance. La béance introduite par l’absence dessinée, et toujours ouverte, reste cause d’un tracé centrifuge où ce qui choit, ce n’est pas l’autre en tant que figure où se projette le sujet, mais cette bobine liée à lui-même par un fil qu’il retient — où s’exprime ce qui, de lui, se détache dans cette épreuve, l’automutilation à partir de quoi l’ordre de la signifiance va se mettre en perspective. Car le jeu de la bobine est la réponse du sujet à ce que l’absence de sa mère est venue à créer sur la frontière de son domaine, sur le bord de son berceau, à savoir un "fossé", autour de quoi il n’a plus qu’à faire le jeu du saut.
Cette bobine, ce n’est pas la mère réduite à une petite boule par je ne sais quel jeu digne des Jivaros — c’est un petit quelque chose du sujet qui se détache tout en étant encore bien à lui, encore retenu. C’est le lieu de dire, à l’imitation d’Aristote, que l’homme pense avec son objet. C’est avec son objet que l’enfant saute les frontières de son domaine transformé en puits et qu’il commence l’incantation. S’il est vrai que le signifiant est la première marque du sujet, comment ne pas reconnaître ici — du seul fait que ce jeu s’accompagne d’une des premières oppositions à paraître — que l’objet à quoi cette opposition s’applique en acte, la bobine, c’est là que nous devons désigner le sujet. À cet objet, nous donnerons ultérieurement son nom d’algèbre lacanien — le petit "a".
L’ensemble de l’activité symbolise la répétition, mais non pas du tout celle d’un besoin qui en appellerait au retour de la mère, et qui se manifesterait tout simplement dans le cri. C’est la répétition du départ de la mère comme cause d’une "Spaltung" (scission) dans le sujet — surmonté par le jeu alternatif, "fort-da" (ici-là), qui est un ici ou là, et qui ne vise en son alternance, que d’être "fort" d’un "da", et "da" d’un "fort". Ce qu’il vise, c’est ce qui, essentiellement n’est pas là, en tant que représenté — car c’est le jeu même qui est le "Repäsantanz" (secours pour pallier le manque) de la "Vorstellung" (représentation). Que deviendra la "Vorstellung" (représentation) quand, à nouveau, ce "Repräsantanz" (secours pour pallier le manque) de la mère — dans son dessin marqué des touches, des gouaches du désir — viendra à manquer ?
J’ai vu moi aussi, vu de mes yeux, dessillés par la divination maternelle, l’enfant, traumatisé de ce que je parte en dépit de son appel précocement ébauché de la voix, et désormais plus renouvelé pour des mois entiers — le l’ai vu, bien longtemps après encore, quand je le prenais, cet enfant, dans les bras — je l’ai vu laisser aller sa tête sur mon épaule pour tomber dans le sommeil, le sommeil seul capable de lui rendre l’accès au signifiant vivant que j’étais depuis la date du trauma. »

J’ai mis entre ( ) la traduction des mots allemands
et entre " " les italiques du texte original.

12.1.10

La plongée (Syracuse)

9 min 30 _ I-2010
coul. _ 4:3 _ mini-dv
partiellement muet _ stéréo
filmé à Syracuse en fév. 2008



Filmer jusqu'à la limite du visible (zoom maximum, surexposition, fin de bande) l'apparition/disparition du plongeur. Lien, rapport à la perte, "Objet petit a" de Lacan, la bobine de Freud. Progression onirique, allégorie d'un travail du regard (vers l'extérieur), & d’une plongée intérieure.


Vue en plongée sur la mer, les rochers, les vagues écumantes, bruit de la mer (naturalisme). Absence de ligne d’horizon. Nous ne sommes pas devant un "paysage" marin. Image plate.
Maladroit mouvement de la caméra vers les rochers, brève apparition de l’eau verte transparente, découverte du plongeur sur la côte.






Image plate : on quitte le naturalisme avec la COUPURE du SON (abstraction : tableau) : différents plans : un rocher "écran" qui cache le corps du plongeur ; l’eau verte transparente avec le fil rouge "comme en suspens" de la balise : impression de voir à travers la paroi d’un aquarium, impression d’un pan d’eau à la verticale.


Tableau abstrait. Attente ["exspectatio" ; rapport à la "perte" (de vue du plongeur)].
La balise jetée sur l’eau introduit la notion de "profondeur" dans l’image, suggère un point de fuite.


Zoom arrière sur cette balise flottante, le plongeur a disparu derrière le rocher écran. Retour au tableau naturaliste.
Coupe.

2CD PLAN : INTRODUCTION DE LA PROFONDEUR (ENFONCEMENT)
Même vue en plongée sur le corps du plongeur en combinaison au motif de camouflage (illusion de naturalisme).
Il plonge, s’éloigne progressivement de la côte.


Même absence de ligne d’horizon, mais introduction de la profondeur confirmée par le corps nageant "en oblique" et s’enfonçant dans l’eau-image ("tableau").


Le corps s’enfonce dans la masse mouvante de la mer et par zooms successifs je le suis et m’enfonce dans l’image.
Je filme le lien : je suis (comme) la balise qui signale la présence du plongeur : je suis (de "suivre") l’objet que je filme & le signale. Le fil rouge est ce lieu ("ligne") du voir, "le lien au visible".
Je filme le lien.


Les zooms successifs modifient la nature de l’image : elle est de plus en plus "picturalité" pure ; de plus en plus tremblante, elle "s’onirise", jusqu’au zoom maximum qui correspond à la LUMIERE SATUREE, à la FIN DE BANDE & à la DISPARITION du corps du plongeur.
Arrêt sur l’image de la balise décolorée au centre du tableau surexposé.
Coupe.





RAPPEL : Le « je » est l’ensemble « corps + caméra », « être + perception » (le regard) soit Machina perceptionis.


« La “dépense” du baroque, c’est un profond enracinement. Elle s’attache à son objet de si près, qu’elle n’en voit plus l’apparence, le relatif : elle est avec lui dans de l’éternel. Un devenir ? oui, mais l’instant premier en déterminera le second, au lieu d’en susciter le rebond ailleurs, dans la dispersion de l’espace, et ainsi s’opère cette plongée, ce mouvement en spirale, qui se referme “enfin” sur le hic et nunc d’un destin. » Yves Bonnefoy in “Rome, 1630”, Flammarion, 1994.
Ce destin est celui de la forme s’inventant elle-même au sein de l’action de filmer.