23.12.08

La mini-dv pénètre dans l’espace du lieu

L'extrait d'une vieille encyclopédie Larousse suivant me fait méditer sur l'acte de filmer en mini-dv. Ce texte soulève le procédé spécifique que j'agis & qui m'agite dans mes vidéographies.


Arrêt sur image extrait de "Consolatio" (45'/ nov. 2007 / 3ème volet du tryptique "Exspectatio")





« Il reste un cinquième sens donné pour percevoir directement l’espace : c’est le tact actif ; et par ce mot on n’entend pas la sen-
sibilité passive de la main, mais la faculté de mesurer les formes
et de percevoir les résistances par un mouvement et par un effort
de la main. Là se trouve tout ce qui manque à l’œil ; le mouvement
de l’œil échappe à la conscience, car il est très facile et, pour ainsi dire, enfoui dans la sensibilité générale. Le mouvement de la main est moins facile ; il demande un effort, car il a une double résistance à vaincre : celle qui résulte du poids de l’organe et celle de la chose extérieure. Voilà donc un mouvement qui n’est pas comme celui de l’œil ; il est toujours accompagné de conscience, parce que toujours il rencontre de la résistance. Si la pensée ne commence pas ainsi, au moins c’est là l’occasion la plus probable de la pensée. Comme nous avons conscience de ce mouvement de la main, il ne sera pas perdu pour notre instruction. Voici maintenant une autre supériorité du mouvement de la main sur celui de l’œil. La main parcourt l’objet autrement que l’œil ; elle va le chercher et se promène dessus dans tous les sens. L’œil, lui, par la divergence de ses rayons visuels,
ne mesure que l’angle qui sépare pour lui les différentes parties
de l’objet. La main mesure l’objet lui-même par son étendue propre,
et elle additionne les différentes parties de l’étendue qu’elle mesure par elle-même. Avec le pouce et le petit doigt, elle joue vraiment
le rôle d’un compas ; c’est une véritable mesure portative. Enfin,
la main a un troisième avantage sur l’œil. Elle va en avant tant que
le corps se déplace. Le bras a une certaine longueur ; il peut donc atteindre les objets placés à quelque distance ; il est aussi doué
d’une assez grande flexibilité ; il peut donc parcourir les contours
des objets. Et puis le corps tout entier peut se déplacer au besoin ;
il va chercher les objets placés hors de la portée ordinaire de la main. Ainsi la main fait tout ce que l’œil ne pouvait pas faire ; elle nous fait réellement pénétrer dans l’espace ; grâce à tous les procédés
de la machine humaine, elle saisit l’étendue sous les trois dimensions
de largeur, de hauteur et de profondeur. Lorsque la main est allée ainsi à la découverte, lorsqu’elle a enfin trouvé un terrain solide, l’œil s’en empare et se l’approprie ; mais ne nous y trompons pas, s’il s’empare de ce terrain, c’est pour l’enrichir, pour l’agrandir, comme un travailleur qui s’installe sur un terrain vierge. Suivons l’œil dans ce travail. La main lui a appris à traduire ses perceptions ; il sait maintenant mesurer les distances. En même temps que la main se déplace, l’œil la suit, et il apprend à connaître ce qu’il fait
et à traduire ses vagues aperceptions en perceptions précises ;
ses approximations angulaires deviennent des mesures absolues ;
il peut juger désormais des trois dimensions : la dégradation des couleurs, la dispersion de la lumière seront pour lui des moyens mnémoniques. »

Et si au bout de ce texte encyclopédique,
au bout de cet œil et de cette main
vous placiez une caméra dans la paume
c’est cette petite machine numérique qui vous ferait perdre la notion des échelles et de l’espace
créant trouble & vertige
à force de pénétrer dans l’espace d’un lieu
s’emparant aussi de l’espace sonore dans le champ et hors le champ.
S'ajoute au poids de la main elle-même
celui de la légère mini-dv
un poids qui s’amplifie dans la durée du filmage
demandant un effort de l’ensemble du corps
provoquant ainsi une forme de conscience perceptive
qui prend naissance
d'abord
dans un consentement à se perdre.



Arrêt sur image extrait de "Consolatio" (45'/ nov. 2007 / 3ème volet du tryptique "Exspectatio")