Suite à la vidéographie "Spatola (delectatio)" —voir ci-dessous—
je reprends quelques pages de dessins réalisées au musée du Louvre, le 14 mars 2008, d'après la peinture de Rembrandt "La méditation du philosophe".
Ces dessins disent bien comment procède la pensée, ma pensée.
Une pensée de la forme, plastique, qui cherche quelque chose en dessinant. Je ne savais pas ce que je trouverai et qui m'obsédait pourtant, sourdement. Le dessin analyse la composition du tableau
de Rembrandt : ma pensée monte, se bâtit. Cherche ce qui est caché dans le lieu, ce studiolo du philosophe.
Porte 34, les 11 m2 de mon lieu de vie et de travail, il y a aussi
ce dynamisme de la spirale, l’insomnie dans la nuit, la bousculade
des pensées premières. La lumière vient maîtriser le flux et offrir l’accalmie, résoudre après le bouleversement une phrase,
une séquence, une composition, un chaînon de pensées.
C’est certainement ce que j’ai trouvé de caché dans la peinture
de Rembrandt, un processus de pensée. Le lieu est le crâne.
Dans l’ombre il reçoit la lumière et un foyer permanent et secret
est entretenu.
REMBRANDT
« Philosophe en méditation », 1632
Musée du Louvre
1 —
mot manuscrit : "foyer"
2 —
mots manuscrits : "la méditation du philosophe"
3 —
4 —
notes manuscites : "La méditation du philosophe REMBRANDT
— Philosophe en méditation, 1632"
et : "le lieu : un crâne"
et, en bas à droite : "Lieu de mémoire"
enfin, en bas à gauche : "(filmé)"
« Or le baroque repose précisément sur une cosmologie képlérienne (Severo Sardury, Barroco) qui substitue au cercle comme cosmolo-
giquement parfait et au centre unique, l’ellipse à double foyer,
dont un virtuel est absent.
Cette ellipse que l’on retrouve dans les plans d’église, dans les tableaux du Tintoret, de Rubens ou du Gréco, relie l’espace
géométrique des corps à une rhétorique du visible et du dit,
en indiquant un double processus d’infinitude et d’ex-centration
de l’espace et de l’écriture.
De là, la capacité toute baroque de faire dériver les formes. Le plan de San Carlino de Borromini ne serait-il pas une anamorphose du cercle ? Ne s’agit-il pas de susciter dans les grandes architectures
du Bernin un spectateur « instable », une cinématographie du visible.
Cet espace dynamique, en morphogenèse et « catastrophe »
("katastrophé" : renverser, bouleverser, abattre, mourir, atteindre
sa fin, son dénouement, maîtriser) permanente, sans centre ni point fixe, correspondra à une tout autre géométrie que celle du plan :
la géométrie des sections coniques de Desargues, Pascal et Leibniz,
où le cercle n’est jamais qu’un cas particulier d’autres courbes. Projeté sur les divers plans sécants du cône, il devient point, parabole ou hyperbole. Il émigre hors de soi, même si, du « point de vue » privilégié (le haut du cône), on peut percevoir la loi des variations
et des correspondances réglées entre l’original et ses images. »
« (…) entre la loi et ses variations, entre l’un et le multiple, entre une forme et ses projections, tout un modèle d’engendrement des apparences se construit, au point que « construire c’est voir », comme l’écrit Michel Serres à propos de Leibniz. Qu’un cercle devienne hyperbole ou parabole, qu’il soit en même temps fini et infini, même et autre, dessine une errance baroque de l’absence
de centre qui ne peut, chez un Pascal comme chez un Leibniz, n’être fixé qu’en Dieu. Dans le grand architecte et mathématicien divin de Leibniz, voir et créer coïncident, en un point de lumière sans ombre, en une « folie devenue sagesse » : « Dieu produit diverses substances, selon les différentes vues qu’il a de l’univers. » Mieux, il est Vue de toutes les vues, miroir redoublé de sa gloire : « Toute substance est comme un monde entier et comme un miroir de Dieu ou bien de tout l’univers, qu’elle exprime chacune à sa façon, à peu près comme une même ville est diversement représentée selon les différentes situations de celuy qui la regarde. Ainsi l’univers est en quelque façon multiplié autant de fois qu’il y a de substances, et la gloire de Dieu est redoublée. » (Leibniz, « Discours de métaphysique », Paris, Vrin, p. 37). Mais pour l’homme, le système des phénomènes, la pluralité des points de vue, l’obscurité et l’ombre sont incontournables. »
Christine Buci-Glucksmann in « La folie du voir : de l’esthétique baroque »
Joos van CLEVE
Clèves ?, vers 1485 - Anvers, 1540/1541
Le Christ en Sauveur du monde (Salvator mundi), détail
À dater vers 1516/1518
H. : 0,54 m. ; L. : 0,40 m.
Musée du Louvre