Pour le vidéographe, le lieu est un autre.
Dans la durée, je le contemple, le découvre, en donne une image.
Que se passe-t-il quand, au sein même du geste de filmer, la fatigue pointe dans le corps du vidéographe & influe sur l'image ?
Qu'est-ce que la fatigue signifie ?
Qu'est-ce que la fatigue signifie ?
Continuer à filmer malgré tout, malgré la fatigue, c'est assumer l'incidence qu'elle a dans ma relation au lieu & sur l'image.
C'est reconnaître la vulnérabilité du vidéographe & l'intégrer à la vidéographie — qui est graphie visuelle & visible de ma relation au lieu.
Le lien à la lumière, dans ma quête spirituelle d'un lieu, avec les moyens que me donne mon corps & ma perception, est central. Quand je filme, il s'agit toujours d'une traversée dont j'ignore l'issue. Je suis alors animée par un appel à entrer en relation avec le lieu. Il y est souvent question d'endurance d'une peine physique à filmer dans la durée, & de patience. Filmer devient un acte de foi, au sein du processus perceptif, en la découverte d'un « je-ne-sais-quoi » qui n'était pas visible avant le geste filmique.
Peut-être que ce « je-ne-sais-quoi » objet de ma quête, réside dans le manque, le creux, la fatigue même… qu'il m'est donné de trouver dans la persévérance.
(Je parlais d'"ordalie" pour expliciter la "fatigue du poignet à filmer", dans le texte accompagnant le processus de création de la vidéographie "Jehanne 2006" de "Pour en finir avec Jeanne d'Arc" (2006) : http://santreuil.blogspot.com/2007/09/pour-en-finir-avec-jeanne-darc.html)
(Je parlais d'"ordalie" pour expliciter la "fatigue du poignet à filmer", dans le texte accompagnant le processus de création de la vidéographie "Jehanne 2006" de "Pour en finir avec Jeanne d'Arc" (2006) : http://santreuil.blogspot.com/2007/09/pour-en-finir-avec-jeanne-darc.html)
----- Agata Zielinski « Lecture de Levinas »* -----
« Cette façon pour la mort de s'annoncer dans la souffrance, en dehors de toute lumière, est une expérience de la passivité du sujet. »1
(…) La mort annonce l'achèvement du corps, et en expose la vulnérabilité. La souffrance colle au corps comme l'impossibilité du mouvement dans la fatigue.
(…) La mort annonce l'achèvement du corps, et en expose la vulnérabilité. La souffrance colle au corps comme l'impossibilité du mouvement dans la fatigue.
« … la souffrance physique, à tous ses degrés, est une impossibilité de se détacher de l'instant de l'existence. Elle est l'irrémissibilité même de l'être. Le contenu de la souffrance se confond avec l'impossibilité de se détacher de la souffrance ».
Le corps est en ce sens le signe ultime de la solitude de l'individu : « ici » absolu, irremplaçable par aucun autre point de vue (…). Personne ne peut prendre la place de mon corps souffrant.
Levinas ne témoigne pas d'une expérience où le propre du sujet serait réduit à soi, mais d'une expérience où le corps peut s'effacer, parce que dès l'origine, il est affecté par de l'autre.
Il y a dans cette imminence de la douleur, dans son caractère primordial pour la constitution du sujet, une forme de passivité qui définit le corps. Par cette forme de passivité (que Levinas, dans Autrement qu'être…, appelle « patience »), nous rejoignons l'impossibilité du geste, l'impossibilité de la volonté dans le corps (…). L'expérience du je ne peux pas de la fatigue rejoint celle du malgré soi qui doit désigner la passivité. À l'origine de l'expérience du corps, il y a à la fois impossibilité qui est passivité, et possibilité de la douleur qui est vulnérabilité. Le corps, dans son expérience primordiale — dès son expérience primordiale, peut-être — est éminemment ambigu : « équivoque » dit Levinas (…).
1 Emmanuel Levinas in « Le temps et l'autre », Paris, PUF, « Quadrige », rééd. 1985. p. 57
2 Idem, p. 55
« La subjectivité est vulnérabilité, la subjectivité est sensibilité. »1
« La subjectivité est vulnérabilité, la subjectivité est sensibilité. »1
La sensibilité est employée chez Levinas d'emblée en un double sens : sensibilité permettant la sensation, expérience immanente du corps propre et possibilité de l'expérience sensible, c'est-à-dire :
« extérieure : sensibilité orientée vers l'extériorité. » Mais elle est aussi sensibilité permettant l'affection, affection par l'autre où l'éthique prend immédiatement la place de la psychologie. Le corps ne suffit pas au sujet : il lui faudra le passage à l'Autre. Là ou corps et autre se rejoignent dans la constitution du sujet, c'est précisément par la passivité qui est au cœur de l'expérience du sujet donné à soi-même par le corps et par l'Autre.
Le sujet fait d'abord, par son corps, l'expérience de cette passivité en soi (c'est l'expérience de la fatigue) (…). »
« La corporéité du sujet, c'est la peine de l'effort, l'adversité originelle de la fatigue qui pointe dans l'élan du mouvement et dans l'énergie du travail. »2
1 Emmanuel Levinas in « Autrement qu'être ou au-delà de l'essence », Paris, Le Livre de poche, 1991. p. 92
2 Idem, p. 92
* Agata Zielinski « Lecture de Merleau-Ponty et Levinas - Le corps, le monde, l'autre - », Paris, Presses Universitaires de France, 2002.