coul. _ 16:9 _ mini-dv _ 1 plan-séquence
filmé le 31/XII/2010 à Prailles, Monastère de l'Annonciation
(en bas de ce message possibilité de visionnage)
Entrée en profondeur dans le paysage. Regarder la source lumineuse. Un motif rouge apparaît & danse devant la lentille optique, au son du vent et des oiseaux. Filmer la lumière naturelle, ici, revient à fabriquer une image picturale (tableau en mouvement) qui se donne dans la durée au temps présent.
Poser le décor : quel paysage ? quelle situation ? :
1 plan-séquence
J’étais d’abord sortie de ma chambre, confortable cellule pour une retraite.
La baie vitrée s’ouvre sur la campagne, de plain-pied.
Un après-midi de décembre à Pié-Foulard.
La promenade ne me disait rien, ce jour-là. L’hiver, dehors.
Je m’étais appuyée contre le grand volet de bois — tout le corps le pousse quand on l’ouvre —, pour regarder le paysage avec la caméra.
D’abord, zoomant sur le faible soleil, si intense pourtant, derrière les branchages
Laisser la lumière s’imprimer, donner corps au temps sur la pellicule digitale.
La lumière qui n’aveugle pas, blanche pourtant
De lents mouvements panoramiques
D’autres zooms, entrées en profondeur, dessins des branches dans le ciel.
Je terminais ce plan en contre-plongeant à nouveau droit sur le frêle soleil, jouant avec les branches nues, balancées, parfois.
Des couleurs nouvelles, un motif lumineux se baladait, comme pris dans la lentille de la caméra.
Le motif dansait.
« de même que l’esprit est toujours en mouvement (…) , de même il n’est jamais exempt d’« intention » ou de contenu émotionnel, cette « coloration » si importante dans la rhétorique classique. » *
Le motif
Le signe informe apparaît dans la composition sur le vif, au filmage.
Fabrique de l’image en direct.
Comme on dit peindre sur le motif, d’après le réel observé directement.
Fabrique de l’image en direct.
Comme on dit peindre sur le motif, d’après le réel observé directement.
La vidéographie telle que je l’entends, écriture de ce que je vois, est un art de l’inventio au sens où l’esprit inventif fabrique une forme nouvelle en s’adaptant, en s’ajustant au présent du filmage, au matériau qui se présente, à l’imprévu du direct. L’esprit d’inventio compose avec le réel, sur le motif.
Vu de l’extérieur, pour un regard étranger à une situation perceptive (celui qui regarde la vidéo qui en résulte), l’image peut d’abord paraître chaotique. D’abord, elle se cherche. Au sein de l’expérience du lieu que je scrute et découvre pour la première fois, je pressens la possibilité d’une forme. J’allume la caméra, cherche et suis le ductus, ce fil conducteur pressenti, du lieu. De ce filmage dont le développement m’est au départ inconnu — pressenti comme force ténue — est un acte de foi.
La mise en acte du filmage, allumer la caméra, vient suite à l’appel du lieu, à ce pressentiment que le lieu a quelque chose à me dire qui est encore caché et sera révélé dans la phrase filmée. Vocation, convocation à filmer le lieu. J’acquiesce. La séquence filmée devient une phrase, les images des mots. La vidéographie est une rhétorique du voir. Elle répond à l’appel de donner une forme.
Prendre le temps de méditer le lieu en le filmant est une manière de prière d’où naîtra cette forme — une composition picturale qui utilise l’image en mouvement perçue comme on entend une voix. Dont on ne contrôle pas le sens au préalable, que l’on reçoit & accueille dans le moment présent de l’écoute.
Regarder ces vidéographies c’est participer à ce cheminement de la fabrique de l’image filmée. Ce processus de comment naît l’image est finalement ce que je cherche à montrer en filmant. Ce que je poursuis.
Le signe informe (dont je n’ai pas choisi la forme) dansant au cœur des lentilles optiques de la caméra est un appui, un support à la méditation de la naissance d’une forme vidéographiée.
Cette vidéographie Le motif est en soi la fabrique sur le motif d’une composition : le tableau filmé naît sous nos yeux.
Lundi 1er août 2011, Monastère de l’Annonciation - Pié Foulard – Prailles (Deux Sèvres, 79)
Sandrine Treuillard
« Ces émotions, cependant, ne sont pas entièrement personnelles et privées ; elles sont aussi le fait de l’œuvre, qui les suscite et les oriente, ainsi qu’il découle du mot « intention ». On se souvient que les mouvements qui parcourent une œuvre — dessinant son ductus — sont portés par différentes colores, pour reprendre les catégories de la rhétorique tardive.
De même qu’on peut parler de l’ « intention » d’une œuvre d’art, en désignant non pas son contenu intellectuel mais l’orientation et la coloration rhétoriques que traduit le choix du site, des matériaux, de la forme, de la thématique, etc., de même on peut parler de l’ « intention » d’une œuvre littéraire — une « intention » que le lecteur peut « délier » et « dérouler » grâce à une méditation attentive, « soigneuse ». Mais le « soin » en question n’est pas tant une application intellectuelle ou savante (la « vertu » telle que nous l’entendons) qu’une sorte d’empathie émotionnelle. » **
* p. 131, in « Machina memorialis – Méditation, rhétorique et fabrication des images au Moten Âge » de Mary Carruthers, traduit de l’anglais par Fabienne Durand-Bogaert, éditions Gallimard, nrf, 2002
** p. 132, idem
Pour visionner Le motif (8 min) :
http://youtu.be/GpfWJU-8Z3Y?t=10s
Note appendice
du 30 août 2012
« Transfiguration *
Son visage éclatant comme le soleil
et ses vêtements blancs comme la neige,
je ne les ai pas vus en haut de la montagne.
La lumière était dans ses moindres gestes,
quand il guérissait, parlait à quelqu'un,
même quand il dormait tout petit dans la crèche.
Elle fut aveuglante pour moi sur la croix :
soleil crucifié comme on le voit l'hiver
dans les arbres nus — des rayons de sang
où il donnait tout, qui traversaient mon cœur.
Après ce vendredi je suis restée aveugle
jusqu'au dimanche ; il a guéri mes yeux
en venant me voir le matin de Pâques
où il a surgi de l'autre côté
du monde et du temps, porteur d'une lumière
toute neuve et douce. Aujourd'hui quand le ciel
rend visite à la terre et que j'apparais
dans un halo clair, c'est elle qui m'entoure. »
Jean-Pierre Lemaire, "Mystères lumineux" in Christus n°235
* C'est Marie qui parle