L'ensemble des cinq vidéographies intitulées « LES AFFECTIONS MUTUELLES » (une introduction : cliquer ici) prennent leur source dans une conception de la nuit telle que l'entend Jean de la Croix, mystique & poète, décrit ci-dessous par la non moins mystique, poète & phénoménologue Edith Stein :
« La
nuit cosmique agit sur nous de la même manière que ce que nous
appelons nuit au sens figuré. Ou, inversement, ce qui agit en
nous de manière semblable à celle de la nuit cosmique, ce quelque
chose est appelé nuit. Avant néanmoins d'essayer de bien
comprendre ce quelque chose, il faut voir avec clarté que la nuit
cosmique possède en effet un double visage.
« À
la nuit obscure et peu rassurante s'oppose la nuit enchantée du
clair de lune, celle qui baigne dans la douce et tendre lumière.
Celle-là n'engloutit pas les choses, au contraire, elle leur permet
de faire apparaître leur visage nocturne. La dureté, le tranchant,
l'éclat des choses, tout est estompé et adouci. Des traits
essentiels se découvrent qui jamais n'apparaissent dans la brillante
lumière du jour. Des voix que les bruits de la journée
assourdissent se laissent aussi percevoir. Non seulement la nuit
pleine de clarté, mais la nuit obscure aussi, possède sa valeur
propre. Elle met fin à la précipitation et aux bruits du jour en
apportant le repos et la paix. Tout cela agit également dans l'âme
et dans l'esprit. Il existe une douce clarté nocturne de l'esprit
dans laquelle, libre du poids des occupations de la journée, détaché
et rassemblé en même temps, il est entraîné dans le profond
accord harmonieux de son être et de sa vie propre, du monde et de
l'au-delà. Il y a un profond repos plein de gratitude dans la paix
de la nuit. Il faut penser à tout cela si l'on veut comprendre le
symbolisme de la nuit chez saint Jean de la Croix.
« Par
des témoignages que nous possédons sur sa vie et par ses poèmes,
nous savons qu'il était surtout sensible à la nuit cosmique avec
toutes ses nuances. Il a passé des nuits entières, à sa fenêtre
ou au grand air, à contempler l'immense paysage. Il a trouvé pour
magnifier la nuit des paroles que nul autre chantre de la nuit n'a
dépassées. L'âme compare le Bien-Aimé à la nuit 1 :
La
noche sosegada ------------------------------------------- En lui j'ai la nuit accoisée
En
par de los levantes de la aurora, ---------------- Qui laisse deviner l'éveil de
l'aurore,
La
musica callada, -------------------------------------------- Le concert silencieux,
La
soledad sonora -------------------------------------------- La solitude sonore,
La
cena, que recrea y enamora ! --------------------- Le souper qui récrée et
enamoure !
« Lorsque dans ses traités notre
Penseur parle de la nuit, il y a au fond toute la plénitude de ce
que ce mot représente pour l'homme et le poète. Nous avons essayé,
pour autant qu'il s'agît là d'une expression symbolique, de la
décrire en quelques traits, sans néanmoins épuiser le sujet. Pour
le moment, efforçons-nous de saisir ce qui, de cette manière, doit
être exprimé symboliquement. (…)
« La nuit mystique ne doit pas
être comprise à la façon de la nuit cosmique. Ce n'est pas,
en effet, du dehors qu'elle nous pénètre. Elle tire, au contraire,
son origine du fond intime de l'âme et surprend d'ailleurs
uniquement l'âme en laquelle elle tombe. Toutefois, les effets
qu'elle produit à l'intérieur de cette âme sont en tous points
comparables à ceux de la nuit cosmique. Elle détermine une
submersion du monde extérieur alors même que celui-ci s'étale au
dehors dans la pleine clarté du jour. Elle transpose l'âme dans la
solitude, l'abandon et le vide, gênant l'activité de ses forces et
l'effrayant par la menace de toutes ces peurs qu'elle abrite en elle.
Cependant ici aussi se lève une clarté nocturne qui, dans le fond
intime de l'âme, découvre un monde nouveau. Cette même clarté
illumine si bien par l'intérieur le monde extérieur que celui-ci
nous est rendu ensuite complètement transformé.
« (…)
« C'est ainsi que la physionomie et la
mimique sont des expressions de la vie et des qualités distinctives
de l'âme et ainsi encore que se manifestent dans la nature le
spirituel et même le divin. L'existence d'une communauté d'origine
et d'une homogénéité réelle rend le sensible apte à faire
connaître le spirituel.
« (…) La nuit (…), qu'il s'agisse
de la nuit cosmique ou de la nuit mystique, est quelque chose
d'informe, quelque chose qui nous saisit. La plénitude de vues
qu'elle renferme, nous pouvons seulement la désigner, mais non
l'épuiser. Elle renferme en effet toute une vue du monde et toute
une conception de l'existence. (…) Nous avons (…) quelque chose
d'insaisissable et en même temps quelque chose dont la signification
est si large que l'une peut coïncider avec l'autre et même nous
servir d'introduction à l'autre. Cette introduction à l'autre ne se
réalise pas d'après un choix arbitraire ou d'après une comparaison
construite selon un plan préconçu, mais grâce à une expérience
symbolique. Comme on se butte ici à un ensemble d'intuitions
primitives et originelles qui ne peuvent se traduire en langage
abstrait, on a nécessairement recours à une expression figurée.
« (…) La nuit (…) est
l'indispensable expression cosmique du monde mystique tel que
l'envisage Jean de la Croix. La prédominance du symbole de la nuit
est un indice que, dans les écrits du saint Docteur de l'Église, ce
n'était pas le théologien, mais le poète et le mystique qui
avaient la parole, alors même que le théologien surveillait
consciencieusement les pensées ainsi que leur expression. »
1 Cantique spirituel, str.
15 (Traduction du PÈRE LUCIEN-MARIE DE SAINT JOSEPH,
o.c.d. in Joannes a Cruce, Obras del
Mistico Doctor San Juan de la cruz. Edición
Critica – Toledo, 1912 ff. III, p. 160)
EDITH
STEIN S. TERESIA BENEDICTA A CRUCE o.c.d.
in « La science de la Croix Passion d'amour de saint Jean de la Croix »
traduit par P. FR. ETIENNE DE SAINTE MARIE o.c.d.,
éditions Nauwelaerts, 1998.
in « La science de la Croix Passion d'amour de saint Jean de la Croix »
traduit par P. FR. ETIENNE DE SAINTE MARIE o.c.d.,
éditions Nauwelaerts, 1998.