2.3.11

"Sixtine C." : Entretien avec Ali Hmiddouch

ENTRETIEN ENTRE ALI HMIDDOUCH & SANDRINE TREUILLARD AUTOUR DE SIXTINE C., installation vidéo-projetée en boucle (30’, 16/9ème), à LA FABRIQUE CULTURELLE DU MIRAIL (C.I.A.M.), à Toulouse, lors des 14èmes RENCONTRES TRAVERSE VIDEO, du 16 mars au 2 avril 2011.


A.H. : Qu’est-ce que tu ressens quand tu tournes autour de la fleur ?
S.T. : Ce que je ressens ? Tu veux que je parle du ressenti ?
A.H. : Oui. Qu’est-ce qui se passe dans ce moment-là ?
S.T. : Il faut que je fasse appel à un souvenir qui date de deux ans. Sixtine C. a été filmé en mai 2009. Je pense donc que cela va être assez ré-inventé. Ce que je peux dire c’est que j’ai commencé à filmer parce que je m’ennuyais. Telle a été l’impulsion. Tout le monde s’ennuyait dans la maison. Des tâches, des occupations ont été "réparties" spontanément et moi je me suis dit : «  Bon, je vais aller filmer les iris dans le jardin. » D’ailleurs, je ne l’ai déclaré à personne, je l’ai fait en cachette. C’est très important que je puisse ne pas être vue à faire ce genre de chose où je regarde et où je peux recevoir et prendre, en même temps, des personnes qui sont autour de moi.
A.H. : Le fait d’être regardée en train de filmer, qu’est-ce que cela occasionnerait ?
S.T. : C’est arrivé, puisqu’à un moment donné mon père arrive et demande : « Qu’est-ce que tu fais ? » et constatant que je filmais, en réponse à sa question il s’est exclamé : « Ah !... ». Je me suis tue et ai continué à enregistrer.
A.H. : Tu fais la morte. Ou plutôt c’est comme si tu étais en prière.
S.T. : Exactement.
A.H. : Quelqu’un qui est en prière ne répond pas quand on l’interrompt.
S.T. : Oui, je reste concentrée. Et cela ne veut pas dire que je ne reçoive pas une influence de par la question ou le mouvement de la personne qui est intervenue.  Parce qu’en fait, j’attends. Il y a beaucoup d’attente. J’attends un événement, cet événement peut être d’ordre visuel, d’ordre sonore, d’ordre humain, comme cela, quelqu’un qui passe… Cela influe forcément sur la suite de l’enregistrement. Mais je n’aime pas trop employer ce mot d’"enregistrement", parce qu’il implique une notion de passivité. Je ne fais pas qu’enregistrer. Vu que je bouge avec la caméra, vu que je cadre et décadre sans cesse.
A.H. : Ça bouge tout le temps, d’ailleurs.
S.T. : Ça bouge tout le temps, oui. Et si ce n’est pas moi qui bouge, c’est la lumière, ce sont des choses qui naissent optiquement… Surtout dans Sixtine C., optiquement, visuellement, la lumière évolue beaucoup. Les pétales font office de quasi-vitrail. Par transparence la lumière prend divers aspects. Finalement, c’est cela que je filme.
A.H. : La lumière ?
S.T. : Oui, la lumière à travers la fleur. Je cherche toujours quelque chose d’autre qui n’est pas dans l’image.
A.H. : Et qui ne peut pas être dans l’image, ou qui peut être dans l’image ?
S.T. : Qui se révèle au fur et à mesure du filmage. Parce que je suis sûre, j’ai une sorte de foi, que quelque chose va apparaître.
A.H. : Cela me fait penser au dévoilement. Quelque chose qui se dévoile. Il y a ce terme grec "aletheia" qui est souvent traduit par "vérité", "réalité". C’est vraiment quelque chose qui relève du dévoilement. L’étymologie du terme "aletheia" est "a-lethe". Lethe renvoie au fleuve Le Lethe, "fleuve de l’oubli". L’oubli et le sommeil. "A-letheia" est le contraire de l’oubli et du sommeil. C’est donc un dévoilement, une révélation. Une sortie du sommeil et une sortie de l’oubli. Et quand je vois cette patience, cette attente, cette attention… En fait, c’est une attention, on parlait de prière tout à l’heure. Une attention à ce qui se dévoile, à ce qui sort de l’oubli…
S.T. : Dans ce que tu dis là s’avance la notion de délicatesse. Il y a dévoilement, certes, mais avec douceur, et avec lenteur. J’aime bien que tu parles de sommeil et d’oubli… Une chose cachée, en fait…
A.H. : Dans le même temps c’est toute l’idée de ce qui arrive à la présence, de ce qui se manifeste, de ce qui se dévoile. Il y a une croissance. C’est-à-dire qu’on pourrait penser à une… graine. Avant d’éclater au grand jour, avant de se manifester, avant de se dévoiler, la graine est dans une sorte de sommeil et d’oubli. Quelque chose arrive à la présence, se manifeste et croît. C’est une révélation et un mystère à la fois.
S.T. : Oui, cela reste un mystère.
Pour en revenir au moment où j’ai filmé ces iris, aussitôt que je les ai eu filmés, je suis montée dans la chambre de mes parents dotée d’un écran plat auquel tu peux brancher ta caméra et voir l’image que tu viens d’enregistrer. J’ai regardé une partie de ce plan-séquence, ma mère est arrivée, m’a vue le regarder et j’ai dit : « Et alors ?... », « Et alors ?...», je me demandais « Et alors ?... qu’est-ce que ça me dit, ce truc, pourquoi j’ai fait cela ? Vers où je vais, à quoi ça rime… ? ».
A.H. : Tu as dit : « Et alors ?... ».
S.T. : Oui, « Et alors ?... ». J’étais dans un questionnement, du pourquoi, de « qu’est-ce que c’était que cette image ». Il y a du mystère, là-dedans. Il y a une forme d’impatience aussi, de ma part, une impatience par rapport à moi-même. La question était : « Qu’est-ce que ça dit ?, pourquoi j’ai fait ça ?».
A.H. : Pourquoi… ?
S.T. : L’attente. C’était l’attente, en fait.
A.H. : Pourquoi… ?
S.T. : Et c’est cela… Ah, voilà… ! C’est comme une épreuve. C’est comme un chemin. Tu vois, l’impulsion était : par l’ennui. C’est par ennui que j’ai décidé de faire ce plan. En espérant me désennuyer et trouver quelque chose de l’ordre d’une révélation ou d’une consolation, ou d’une récompense à la patience d’enregistrer ainsi. C’est toujours une quête que de filmer.
A.H. : Et là, se désennuyer, c’est "mettre à jour", se désennuyer comme sortir de la nuit. Là, c’est aller vers une mise à jour de quelque chose…
S.T. : Une mise au jour.
A.H. : Une mise à jour, oui, une mise au jour… Tu posais la question "pourquoi ?", et avec le "Et alors" tu réponds à la question, il me semble : « Pourquoi ? » / « Et alors ».
S.T. : Oui… (rires) C’est tautologique.
A.H. : Je suis allé à un Cabaret mystique au mois de décembre. Le Cabaret mystique sont les rencontres avec Alexandrov Jodorowski, une conférence assez spéciale dans un style très particulier. Il y parlait de cela, il disait : «  Quand des gens vous empêchent d’aller vers ce qui vous attire, de faire ce dont vous avez envie… vous pouvez leur répondre : « Et alors !? », « j’ai envie de faire cela, et alors, je le fais. » On peut donner cette réponse. A.J. ajoutait dans un deuxième temps : « Si cette personne vraiment insiste et contrarie votre élan vital, si le "Et alors" n’est pas suffisant et ne la désarçonne pas, le deuxième mantra, en quelque sorte, la deuxième parole magique c’est : "Crève !".
S.T. (rires) J’aurais pu dire cela à moi-même, alors, parce que le conflit était à l’intérieur de moi, ce n’était pas quelqu’un d’autre qui le provoquait… Cela nous fait revenir à la question de l’angoisse de tout à l’heure, avant que nous n’enregistrions cet entretien.
A.H. : (indexant le micro et l’enregistreur hi-md posé entre nous sur la table) C’est intéressant cet outil, parce que, finalement, il influence notre rapport, la manière d’entrer en contact même avec la langue et la parole, et avec l’autre. Il fait donc partie du jeu. Il vient enregistrer une parole sur une parole qui porte sur l’enregistrement d’une fleur, d’un motif…
S.T. : … d’un lieu…
A.H. : C’est un deuxième enregistrement, en fait.
S.T. : … une mise en abyme…
A.H. : Et finalement on ne cesse d’enregistrer…
S.T. : Oui, et voilà, la question est : « Et alors ?!... ». C’est bien beau d’enregistrer, mais qu’est-ce qu’on en fait ?
A.H. : C’est qui "on" ?
S.T. : "On", "nous", celui qui l’a fait et celui qui le regarde. Que fait-on de ce plan-séquence quand même long, est-ce qu’on s’y prête ? Est-ce que moi je m’y prête, déjà ? Je me suis prêtée à le filmer et ensuite j’ai dû apprivoiser l’idée moi-même de le dévoiler aux autres. Et encore, ensuite, que l’autre accepte de faire ce chemin, parce que c’est un chemin, un cheminement que de regarder ce plan-séquence de presque 1⁄2 heure. C’est tellement lent, c’est tellement à contre-courant des images et des temps proposés devant une vidéo, une peinture, une œuvre quelle qu’elle soit. Á part le cinéma de fiction, le cinéma au sens classique, on ne reste pas longtemps devant une œuvre. Sixtine C. impose une contemplation.
A.H. : Là, on s’arrête, en fait. On s’arrête devant. Il y a quand même quelque chose qui s’interrompt, quelque chose qui se suspend, voilà…
S.T. : Et dans la lecture même, si tu restes 1⁄2 heure à regarder ce plan, comme d’ailleurs quand moi-même je l’ai filmé, il y a des mises en suspens de notre regard, notre attention n’est pas toujours égale et on s’absente, aussi bien quand on filme que quand on le regarde.
A.H. : Oui, il y a des moments d’absence, des moments de flottement.
S.T. : Ce qui m’intéresse dans le plan-séquence est cet abandon à… à… à des trous, à des trouées dans le temps, dans notre conscience aussi, dans… On ne maîtrise plus, il n’y a plus de prise.
A.H. : C’est cela que je trouve intéressant, parce que la démarche initiale c’est… on a l’impression que c’est une tentative de prise…
S.T. : … de prise de vue…
A.H. : … et on se rend compte petit à petit que ça bascule dans quelque chose qui contrarie toute prise possible…
S.T. : Oui, parce que je ne cherche pas à prendre, je cherche plutôt à recevoir, et par définition, vu le contexte qui est du temps réel, au présent, je ne sais pas ce que je vais recevoir.
A.H. : C’est comme si la caméra adoptait le mouvement du motif. Elle bouge au rythme…
S.T. : Oui, c’est cela : la filmeuse se fait dicter le filmage par l’événement qui arrive. On m’a parfois dit que c’était une attitude passive. Je ne le pense pas. Au contraire, c’est une attitude contemplative.
A.H. : Je dirais réceptive, aussi. La réceptivité est très différente de la passivité.
S.T. : Par exemple, il y a eu tout un mouvement très à la mode : on posait sa caméra en plan fixe, on attendait que le temps passe et puis on coupait. Je ne me situe pas là du tout. Cette manière de faire pour moi est passive : il n’y a pas d’engagement de la part de celui qui pose sa caméra, sinon d’avoir choisi le lieu… Il y a aussi un abandon, dans une certaine mesure, au lieu, à l’espace… Mais la posture dans laquelle je suis est vraiment celle du lien actif qu’il y a entre le lieu et moi… Enfin… Justement, je n’aimerais pas employer le pronom "moi", ni "je" parce que je souhaite abandonner tout ce qui est égotiste.
A.H. : Tu parles de lieu, plutôt que d’objet, ou de motif.
S.T. : Parce qu’il ne s’agit pas seulement d’un objet. Il y a le son. Et le son matérialise le lieu qui est autour en hors-champ. Puisqu’il s’agit d’une prise directe… L’exigence de ces plans-séquences, la recherche que j’avais entreprise dans Machina perceptionisle journal de bord en ligne concernant mes vidéos depuis 2008, était :  Qu’est-ce qui se passe dans une prise directe à la fois de l’image et du son, en plan-séquence, sans interrompre, sans faire de montage. Qu’est-ce qui se passe dans le lieu, qu’est-ce que je reçois du lieu et le lien qu’enregistre la caméra. Cet objet-caméra devient un instrument, une sorte de crayon… Ça tient dans la main, c’est très souple, comme une prothèse dans la main. Je la manipule, la mini-dv a la souplesse d’un crayon. Sur le motif, tu enregistres en temps réel, la prise directe à la fois de l’image et du son : qu’est-ce qui se passe dans ce rapport ? C’est vraiment un rapport de perception. Que se passe-t-il entre le lieu et moi qui filme, comment c’est délimité ? Comment ce rapport s’énonce-t-il dans l’écriture de la vidéo ? Il y a une espèce d’entonnoir qui se fait dans le temps (la durée) : du fait que l’espace se restreint. Au fur et à mesure que tu filmes tu t’aperçois qu’une toute petite parcelle est suffisante pour approfondir et découvrir ce rapport mystérieux.
Á propos du ressenti sur lequel tu m’interrogeais au départ de cet entretien, j’ai du mal à y répondre sous la forme "que ressens-tu ?" parce que je n’en suis plus là du tout. Ça n’a rien à voir avec le ressenti mais plutôt avec ce que je perçois. Et de ce que je perçois, l’image elle-même va se construire, dans le rapport que j’ai au lieu, au son, dans ma réaction par rapport à ce qui se dessine devant moi/avec moi. C’est l’image qui en résulte qui va être porteuse d’affect (ou de…), dans un deuxième temps, d’un sens que je ne maîtrise pas du tout. Et cela, j’aime beaucoup aussi. Parce que du coup, l’image m’est donnée, quelque chose m’est donné que je n’ai pas prévu, à laquelle je ne pensais pas… Enfin, il y a toujours une intuition, un appel : pourquoi j’allume la caméra à ce moment-là, dans ce lieu précis ? Il y a un appel, mais j’ignore ce qui va advenir, comment cela va se développer, et ce qui en résultera.
A.H. : Tu composes, en fait.
S.T. : C’est de la composition en directe. Et ce n’est pas de l’improvisation. Parce que là, si nous commençons à évoquer la composition, vient se greffer la notion d’improvisation, puisque l’action a lieu en direct, en temps réel… Et cela… J’improvise, mais… je n’aime pas ce mot.
A.H. : Pourquoi n’est-ce pas de l’improvisation ? Pourquoi est-ce qu’on ne peut pas dire que c’est une improvisation ?
S.T. : Peut-être ai-je un préjugé défavorable sur ce mot. Dans le monde musical, le terme d’improvisation est beaucoup employé. J’ai côtoyé un milieu de musiciens free jazz qui pratiquent l’improvisation en concert, en live, devant un public. Selon moi, une bonne improvisation est le fruit d’un long travail d’apprentissage et d’ouverture à un maximum de choses dont on s’est nourri. Le mot "improvisation", dans le cas où l’on déclarerait : « Allez hop !, j’improvise, j’allume ma caméra et je filme… », porte une connotation du "faire en touriste", une négligence, une légèreté que je n’aime pas du tout.  Alors même que je revendique le fait que je ne connaisse pas ce qui va apparaître. Mais j’ai un vécu intérieur qui implique qu’il ne s’agit pas d’improvisation. Parce qu’il y a beaucoup d’intériorité dans tout cela.
A.H. : "Beaucoup d’intériorité", qu’est-ce que tu entends par "intériorité" dans ce cadre-là ?
S.T. : C’est l’expérience intérieure. Ce qui t’a nourri, ce que tu portes en toi. Et le jour où tu allumes ta caméra et que tu improvises tu es déjà riche d’un vécu qui te fait déplacer les limites de l’intériorité, te fait les franchir, te fait aller plus loin dans l’expérience intérieure que tu vis en filmant à l’extérieur…
A.H. : C’est davantage dans ce sens-là que je parlais de ressenti au commencement de cet entretien. Ma question est : « Quel est le contenu de cette expérience, pendant l’acte de filmer ? ».
S.T. : Je peux revenir sur cet aspect, si tu veux, car c’est quelque chose que je n’ai pas vraiment développé seule. C’est difficile sans un bon interlocuteur… C’est… arriver à s’abandonner… Ce n’est pas facile, même quand tu commences à filmer. Tu dois petit à petit prendre confiance. D’abord, tu prends connaissance. Et puis, à un moment donné, quelque chose s’installe : tu délimites le périmètre qui t’intéresse, qui t’attire, dans lequel tu vas explorer le lieu.
A.H. : Tu parles "d’abandon"…
S.T. : Oui, je dois m’autoriser, du verbe "s’autoriser à…" Quand je dis que le lieu m’appelle, c’est que de ma part, j’éprouve le besoin de me sentir autorisée à filmer, autorisée à entrer dans l’intimité du lieu. Je ne pourrais pas faire n’importe quoi n’importe comment.
A.H. : Ni n’importe où…
S.T. : Ni n’importe où.
A.H. : C’est vraiment un lien très fort qui se noue avec un lieu et qui va déclencher…
S.T. : … le désir ou le…
A.H. : … d’approfondir le lieu.
S.T. : Ah ! oui, oui, oui, c’est cela. Je dois sentir un aval du lieu. C’est pour cette raison que je parle d’appel. C’est la vocation. Une vocation t’autorise. Mais du coup, il est vrai que je retombe souvent dans des lieux qui m’appartiennent… Enfin… qui se ressemblent. Il y a toujours quelque chose de lié à la lumière. L’élément lumière est souvent l’élément qui m’interpelle. Car je sens que va se produire une métamorphose dans cette lumière. C’est là que l’histoire a commencé.
A.H. : C’est comme un moment d’éclaircie, peut-être ? De petite… Heidegger parle de "clairière", la "clairière de l’être". Quelque chose qui s’ouvre en un lieu précis. Tu parlais d’appel, tu perçois un appel par rapport à un lieu précis. Mais est-ce qu’un appel implique forcément une réponse ? Et pourquoi est-ce une réponse de ce
type-là ?
S.T. : Au départ, j’ai fait de la photographie. J’avais ce même genre d’appel. C’était en photographie, mais se développait ce même processus : dans un périmètre au ras du sol, j’explorais ce continent minuscule. J’ai appris à comprendre que c’était le lien qui m’intéressait. Le lien au lieu, déjà. Donc, le rapport que j’ai avec ce lieu. Et comme j’avais tendance à "mitrailler" (enfin, ce n’est pas vraiment le mot…), à faire une succession de photos de ce petit lieu délimité, naturellement j’en suis venue à la caméra car le besoin du mouvement s’imposait. Ce qui m’intéressait était cette durée de la transformation de la lumière et aussi de ma découverte du lieu. Parce que filmer c’est à la fois filmer les éléments qui se transforment dans l’image et le geste que tu fais en filmant. C’est là, c’est ça. Ta question était : « Pourquoi par ce moyen-là ? ». Je crois que c’est le désir de capturer du temps, de la durée, et que je le fais par le biais de la vidéo. Une photo, cela fige.
A.H. : On a en effet l’impression de quelque chose de très fluide, le contraire de quelque chose de figé, d’arrêté. Ce qui ressort de la séquence est vraiment une extrême mouvance. Et parfois, ce n’est plus tout à fait du temps. Même le temps est suspendu. Il y a une suspension du temps…
S.T. : C’est cela, il y a des trouées. Cela m’intrigue beaucoup…
A.H. : Ce qui me frappe, c’est la fragilité de la prise. Quelque chose de tremblant. C’est cette entrée dans cet état que tu appelles d’abandon, peut-être, de lâcher-prise. Comme si cette fragilité était la condition de la libération de ces trouées.
S.T. : C’est comme lorsque tu es en prière… C’est toujours lié à cela. Tu montres ta fragilité, ta faiblesse, et quelque chose t’est donné. Il s’agit de ce processus-là.
A.H. : C’est donc aussi un travail d’effacement en même temps qu’un travail de…
S.T. : … de lien…
A.H. : … de dessin, presque…
S.T. : Oui, il m’arrive de parler de dessin…
A.H. : C’est un travail d’effacement, en même temps.
S.T. : Oui, et malheureusement, quand on parle, on est toujours contraint de poser le sujet "je "… Mais il est vrai que "je" pense que le résultat est dans le retrait de ma personne. C’est ce que je souhaite. Ce n’est cependant pas moi qui décide de comment cela se produit. C’est aussi une manière de libérer l’image que de me mettre en retrait et de parvenir à laisser la place à ce qui arrivera.
A.H. : Alors, il s’agit d’un mouvement qui peut paraître un peu paradoxale : à la fois une pénétration dans l’intimité, dans une fragilité, quelque chose de très petit, qui tient à peu de chose, et dans le même temps, à même cette pénétration, il y a un retrait, un effacement. Comment vis-tu ce mouvement ?
S.T. : Il y a une grande question, en fait… Á la fois j’ai besoin de sentir de la délicatesse, de ma part, quand je filme. L’attention se situe là aussi : je n’ai pas envie d’être voyeuse, ni dans le regard scientifique qui veut tout montrer et enlève le mystère. Mais justement, quand nous employons le mot "prière", c’est cela : à la fois je dépose quelque chose, et à la fois je prends quelque chose. C’est sur ce seuil-là. Quand je dis que je dépose, je tente de signifier que mon regard cherche et qu’en même temps, il ne veut pas violer.
A.H. : Est-ce qu’on pourrait dire que le regard se laisse lui-même pénétrer ?
S.T. : Bien sûr, ah oui ! Mais toute cette histoire-là, quand je dis qu’il y a l’appel du lieu, tout ce processus est une histoire de pénétration, de se laisser pénétrer ou alors… de se laisser appeler, oui, c’est ça… C’est cela le lien, la relation entre le lieu et "moi". C’est ce qui est, pour moi, le lien, cette relation, cet avec, le lieu du "religere"… Tu fais appel au grec et moi au latin : "relier" dans le sens vraiment primitif du terme : l’homme a besoin d’être relié à quelque chose d’invisible, qui le dépasse et qui lui donne. Il se laisse pénétrer par cette chose qui le dépasse et qui lui donne (ou pas, d’ailleurs). Quand je filme c’est ce lien que je cherche, que j’explore.
A.H. : Et là l’invisible se donne dans le visible. Comme si ce visible-là était l’épiphanie de l’invisible. Un dévoilement. On revient au dévoilement et à…
S.T. : Oui, c’est cela. Et là on revient… Je vais parler du sujet, de moi, juste un petit peu. Nous retournons à la vocation de quand j’étais petite : pour moi, qu’est-ce que c’était, Dieu ? Quand j’étais dans la campagne, Dieu c’était dans la nature, c’était les nuages qui filtrent la lumière, c’était ces sortes d’épiphanies. On peut les dire très païennes, en tout cas, primitives. Un sentiment d’être reliée au lieu par des éléments naturels et de sentir la force surnaturelle de Dieu.
A.H. : Cette force est finalement un sentiment de non-séparation.
Le fait de se sentir relié, non-séparé. C’est ça, cette force.
S.T. : Oui. C’est accepter d’être dépendant de ce lien nourrissant. Pour moi, la lumière – et cela je l’ai compris en faisant de la photographie, à la prise de vue – au départ – pour moi, la lumière – je l’ai compris aussi quand j’étais en psychothérapie – est l’élément qui me nourrit, l’aliment nourricier de mon âme, de mon être. Et vidéo-graphie, l’écriture de la lumière (ce par quoi je vois, video), c’est cela mon travail. C’est le lien que j’établis avec la caméra pour me laisser pénétrer par la lumière, pour la chercher. Ce lien de… ce rapport de…, je cherche, je trouve, je perds, je… retrouve. C’est perdre et retrouver autrement. Se déposséder, aussi, dans une certaine mesure. Déposer et se laisser prendre.
A.H. : Ça me fait penser à la respiration, ce que tu dis. Le va et vient. Le donné, le recevoir.
S.T. : La respiration est au cœur du dernier plan-séquence sur lequel je travaille actuellement. On voit dans l’image un mouvement qui monte et qui descend. La respiration est dans l’image. C’est la séquence que je vais soumettre à Stefan Hussong, parce que ce musicien respire avec son accordéon. Un accordéon, ça respire ! Le lien à l’instrument me passionne. Le corps avec son instrument : la main avec la caméra, le musicien avec son instrument. La respiration est ce qui débride l’image. L’image cinématographique est bridée, en fait : toute "l’artillerie lourde" du cinéma éloigne l’homme qui filme de l’image qu’il produit. En vidéographie, en introduisant le rapport physique, charnel, qu’à le filmeur à son outil, la respiration anime autrement l’image, comme un dessin respire. On sent un souffle, une respiration, dans un dessin. Il ne faut pas avoir peur des mouvements du corps (tremblés, heurts, à-coups…) avec la caméra. Des mouvements en harmonie avec son corps, transmis à l’image.
A.H. : Ce qui est intéressant dans la pièce Sixtine C. c’est que tu quittes la maison, la demeure humaine, à la recherche d’un lien que ne donne pas…
S.T. : … la famille…
A.H. : … la communauté humaine, en tout cas.
S.T. : La famille. C’est ma famille. C’est aussi un autre sujet qui serait : « Pourquoi filmes-tu ? Pourquoi t’es-tu autorisée un jour à prendre du retrait ? ». Parce que c’est une manière de prendre du retrait par rapport aux proches. Une manière de respirer dans une ambiance où l’on n’est pas forcément et spontanément en harmonie et à l’aise, à sa place. Un milieu porteur d’angoisse. Nous voici à nouveau avec l’angoisse, et c’est vrai que… entre l’angoisse et l’ennui… Pourquoi s’ennuie-t-on ? L’ennui est une forme de l’angoisse. Ainsi, décider de filmer c’est utiliser une énergie d’angoisse pour trouver autre chose.
A.H. : L’ennui, au XVIIème siècle, quand on le retrouve dans les écrits d’un Pascal, par exemple, équivaut vraiment à ce qu’on appelle aujourd’hui "angoisse". Ce terme "ennui" a cette tonalité-là, très forte. Ce n’est pas uniquement un vague à l’âme. L’ennui dont parle Pascal est vraiment l’ennui de l’angoisse profonde.
Dans la vidéo, on perçoit bien aussi ces voix qui te suivent, te poursuivent… On les entend au loin… On a parfois même l’impression qu’elles émanent de la fleur, qu’elles sortent vraiment du cœur de la fleur.
S.T. : C’est ce que j’apprécie avec la caméra…
A.H. : C’est comme une hantise. Il y a quelque chose dans ces voix, ces échos, de l’ordre de la hantise, qui émane presque de…
S.T. : … de l’image… de la fleur.
A.H. : … du lieu… oui… de l’image. On sent qu’il y a des sons qui affleurent de l’image : comme des voix d’outre-monde.
S.T. : Oui. Le fait de ne pas voir ce qu’on entend laisse une grande place à l’imaginaire. Et puisqu’on a le nez collé (la caméra a "le nez collé") à une image qui évolue assez peu, finalement, puisqu’il s’agit d’un motif répété… du coup, le son hors-champ produit un autre film superposé à la séquence visuelle.
A.H. : Tu parlais de la lumière. Le son est aussi très présent. Le chant des oiseaux, le vent, les voix humaines…
S.T. : Je ne sais pas si tu as entendu – il faut disposer de bonnes enceintes pour l’entendre – la pluie qui tombe. Il a plu… Même pendant que je filme, il y a un reste de pluie, une grosse goutte vient se déposer sur la lentille. On entend le vent qui pousse les branches et des gouttes d’eau qui tombent, un crépitement sur le sol. On perçoit cela selon la qualité des enceintes. C’est pour cette raison que j’ai insisté auprès de Traverse Vidéo, à Toulouse, pour obtenir un bon amplificateur et des enceintes, afin d’entendre tous ces détails que la caméra enregistre et qu’on ne perçoit pas à "l’oreille nue". De même qu’à l’œil, la caméra montre des choses à l’ouïe qui ne sont pas naturellement perceptibles.
A.H. : Parce qu’en fait notre système perceptif est très sélectif. Il sélectionne en fonction du principe d’utilité. Il va en priorité vers ce qui lui est utile, vers ce qui lui sert.
S.T. : Oui. Et d’habitude, faire un film, c’est faire du montage : cela signifie éliminer, cela veut dire carrément pour Robert Bresson, fabriquer une bande son complètement extérieure au plan filmé, fabriquée et superposée ensuite à l’image. L’artifice est total… il va loin. C’est une fabrication.
A.H. : … une grosse construction…
S.T. : Avec Sixtine C., dans le processus lié à Machina perceptionis, je me situe à l’opposé : je prends tout, je garde tout.
A.H. : Là, nous nous situons dans la déconstruction du sujet constructeur : son retrait, son effacement. Il y a juste son attention qui est là… Comme une présence, mais très attentive à son mode de présence…
S.T. : Oui, au geste de filmer.
A.H. : Attentive à son geste, oui.
S.T. : Oui, parce que c’est dans ce geste que je pense avoir à prendre.

Ali HMIDDOUCH / Sandrine TREUILLARD
Paris 20ème
Février 2011.

27.2.11

L'art vidéo comme témoignage de la présence de Dieu - Sixtine C.

Cher Père…,

(…)

(Mais) je sais aussi que vous avez d'autres points communs avec mon autre vocation, celle de chercher Dieu, un lien à Dieu, à travers l'art et la production d'oeuvre.

Nous n'avons jamais reparlé de votre séjour à Rome...

Je souhaite ici vous introduire à ma production artistique.
D'abord, le "je" qu'on est bien obligé d'employer comme auteur des choses, comprenez-le comme "moi, l'instrument du Seigneur" par qui Dieu oeuvre, de Thérèse de Lisieux.
C'est toujours comme cela que j'ai vécu mon rapport à la création, un don de Dieu, une grâce qui m'est faite, une joie donnée.
L'égotisme du monde (mondain) de l'art, du cinéma, ne me sied guère...

C'est en vidéographie (écriture du voir par l'outil qu'est la mini-caméra vidéo, qui tient dans la paume) que j'ai compris qu'il me fallait exprimer cette quête de Dieu (par la lumière, d'abord), dans des lieux qui m'appellent, m'interpellent.

Dans cet intervalle entre moi (mon corps + mes sens + mon esprit + mon âme) et le lieu (ensemble constitué par le visuel & le sonore et autre chose de mystérieux que le cadrage de la caméra délimite) se trouve la présence cachée de Dieu (l'harmonie).

Filmer le lieu, c'est me relier avec l'outil caméra, à la présence de Dieu.
Où j'écoute, entend cet appel, et me sens toujours en devoir, dans le coeur, en devoir de délicatesse pour le lieu,
comme dans une église, le lien, cet appel, est sacré
(il implique des limites, comme le rituel liturgique en définit).

J'ose sortir ma petite caméra pour commencer la contemplation
(être avec le lieu, ce templum, porteur du lien sacré)
d'une chose qui me sera donnée dans l'enregistrement du lieu (visuellement & des sons)
et que j'ignore encore.

Quelque chose se révèle, se dévoile au fur et à mesure du filmage,
où j'ai confiance en l'appel, en la beauté du lieu.
Je sens en moi-même, avec humilité, que ce désir de filmer est sacré.
Filmer alors est comme une prière, un recueillement, un accueil par les sens & la caméra (un sens supplémentaire).
C'est aussi une épreuve d'endurance physique...

Á Syracuse, il m'a été donné de filmer la lumière sur la mer Ionnienne.
C'était en février 2008. J'ai mis une année entière avant de comprendre,
d'oser accepter que cette vidéo était -est- une oeuvre à partager.
La durée (28 minutes) de cette vidéo me faisait hésiter à la reconnaître
et à la montrer [dans le milieu de la vidéo, et de l'art contemporain en général il est de bon ton d'être efficace : faire court (raccourcir : passer par des raccourcis), ne pas trop en demander dans l'engagement du spectateur, ambiance zapping de notre société, ou tout le bon est sans cesse revu à la baisse, sous prétexte d'accessibilité. La profondeur, dans ce contexte, est souvent mise à mal...]
Ma préoccupation dans cette vidéo était, sans que j'en aie clairement conscience en agissant,
la célébration de la lumière.
J'ai intitulé ces 5 plans-séquences (28 min) du nom de la sainte protectrice de Syracuse (dont le nom ancien est Ortigia), LUCIE (Ortigia).

Est décrit ce qui se passe dans ces images, ce lieu,
dans un journal de bord en ligne intitulé Machina perceptionis
qui est aussi une "Machina spiritualis" que je découvre au fur et à mesure du processus même de mon travail en vidéo.
http://treuilsanaturemorte.blogspot.com/2009/04/lucie-ortigia.html

Le travail d'écriture est donc complémentaire, nécessaire (qui ne cesse pas) à celui de filmer.
"ça chante en moi, ça pense en moi, les images vivent en moi, les sons, les musiques des lieux" et l'écriture naît de cette alchimie intérieure.

Ma manière de produire des oeuvres en vidéo
est de plus en plus un témoignage de l'oeuvre de Dieu à travers moi.

Et je suis heureuse qu'un long plan-séquence d'1/2 heure intitulé Sixtine C.
ait été retenu à un festival vidéo à Toulouse, Traverse Vidéo.
Parce que cette vidéo illustre bien ce que je viens de tenter d'expliquer :
http://treuilsanaturemorte.blogspot.com/2009/06/sixtine-c.html

Sixtine C. une "image ouverte" :
http://treuilsanaturemorte.blogspot.com/2010/10/sixtine-c-une-
image-ouverte_13.html

Sixtine C. et la subversion baroque :
http://treuilsanaturemorte.blogspot.com/2010/05/sixtine-c-et-la-
subversion-baroque.html

Et un entretien en cours de retranscription dans lequel un ami m'aide à énoncer ce qu'il y a de religieux dans ma posture de filmeuse,
et dans l'acquiescement du spectateur à s'abandonner à la durée du plan-séquence
pour vivre à son tour une expérience intérieure (où percevoir va plus loin que voir).

Cher Père …,
merci d'avoir lu jusque-là ce message,
si toutefois l'avez pu.
C'est une manière pour moi de me dire, en vous le disant,
qu'au sein de mon travail d'artiste, cherche à se dire la bonne nouvelle de la présence de Dieu au monde.
Je sais que cela est précieux, et ne puis le garder pour moi.
Je cherche des voix pour le transmettre,
et me devais, je crois, de vous le transmettre (…).


Sandrine Treuillard

14.2.11

"Sixtine C." & l'Immédiat

A l'occasion des 14èmes Rencontres Traverse Vidéo,
intitulées "L'art proxime",

voici le lien à ma note d'intention accompagnant l'installation
en vidéoprojection de Sixtine C. à La Fabrique Culturelle du Mirail, à Toulouse, du 16 mars au 2 avril 2011.
En cliquant sur le titre ci-dessus "Sixtine C." & l'Immédiat, vous serez redirigé vers cette page.

Ou en faisant un copier/coller de cette adresse :
http://treuilsanaturemorte.blogspot.com/2010/06/filmer-folie-du-
percevoir-cest-chercher.html

13.10.10

"Sixtine C." une « image ouverte »

Ce qui va suivre est un assemblage de citations tirées de l’ « OUVERTURE » à « L’IMAGE OUVERTE » de Georges Didi-Huberman (Le temps des images, éditions Gallimard, 2007) et de réflexions portant sur la vidéographie SIXTINE C. (juin 2009) dont « l’image ouverte » m’obsède et m’interroge…

Ce texte a été publié dans le livre-catalogue de Traverse Vidéo 2011, "L'art proxime", sans les citations de Didi-Huberman.




Bien qu’appartenant à une réflexion iconographique et anthropologique principalement liée à l’image peinte et à des objets et des pratiques des cultes romains et chrétiens, l’ouvrage « L’IMAGE OUVERTE » de Georges Didi-Huberman m’enjoint et m’aide à transposer certaines de ses découvertes à l’interprétation d’une image vidéographique : un plan-séquence de 30 minutes, que j’ai intitulé du nom de la fleur filmée, l’iris hybride Sixtine C.. En l'occurence, cette dénomination fait référence à une image peinte à fresque, à un lieu (la voûte d’une chapelle), à une époque charnière de l’histoire de l’art (Renaissance-Maniérisme) et à la vision d’un artiste (Michel-Ange).

Il y a « un objet dont dépend — déjà sur le plan linguistique — toute la conception occidentale de l’image : il s’agit, bien sûr, de l’imago romaine, dont l’existence ne se réduit pas, loin de là, au simple statut de portrait. Les effigies ancestrales des romains de l’époque républicaine étaient, selon l’expression de Pline l’Ancien, des "masques moulés en cire" (expressi cera vultus), "images peintes" (imagines pictae), qui avaient la particularité d’être recloses, invisibles là même où elles étaient exposées, dans l’atrium de la demeure familiale : elles étaient, en effet « rangées chacune dans une niche », une sorte de boîte où d’armoire (disponebantur armariis) sous laquelle on pouvait lire le titulus honorifique de l’ancêtre. Polybe a décrit, parmi d’autres, le rituel consistant, « lorsqu’un membre illustre de la famille vient à disparaître », à « ouvrir les châsses de ces images », donc à les faire apparaître, à les « parer avec une grande recherche »
et à les « faire porter dans le convoi funéraire ». L’expression consacrée pour cette opération par laquelle l’image devient visiblepour le seul temps d’une cérémonie — est asperire imagines,« ouvrir les images ».

En ce sens, il n’y a pas d’image sans le geste de son ouverture. Parce qu’ouvrir équivaut alors à dévoiler. C’est l’acte d’écarter ce qui, jusque-là, empêchait de voir — porte ou rideau —, et c’est disposer, présenter la chose désormais "ouverte" dans une relation spatiale qui fait communiquer un intérieur et un extérieur, l’espace obtus qui tenait l’image enclose et l’espace obvie de la communauté spectatrice. (…) Or, si ouvrir équivaut à présenter, la présentation elle-même pose néanmoins la question phénoménologique de ses propres modalités de dévoilement ou d’apparition. »

SIXTINE C. est une vidéographie qui part d’une absence d’intention autre que "filmer les iris dans le jardin". J’ignorais alors jusqu’au nom de la variété de ces fleurs. Mais, déjà, cette volonté de filmer les iris dans le jardin consistait en une première ouverture sur la possibilité d’une image, sur le geste de voir.

« Ouvrir est un travail au sens fort du terme : c’est un processus de transformations multiples où se transforme constamment la règle même de ces transformations. C’est un travail qui tour à tour, déploie une fécondité (travail de l’accouchement) et impose un épuisement, un processus de destruction (travail de l’agonie).»

Comme un temps de vacance à la maison. Vacance, "temps mort", qu’est-ce qu’on fait ? Mère et sœur sont à la cuisine (cela s’entendra : leur voix se mêleront aux bruits des moteurs électroménagers ; jusqu’à celle d’Edwige qui se mettra à chanter). Père cherche à "tuer ce temps d’attente". Devant cette liberté d’occuper son temps (vide), dans la maison où la famille s’est regroupée pour le week-end, je décide de "filmer les iris dans le jardin".


Il s’agit pour moi d’une expérience : pour voir ce que cette action produit dans ce lieu et à ce moment-là.

Il s’agit d’une performance au sens d’épreuve, d’ordalie et d’endurance qui engage mon corps, mes facultés de perception et de manipulation d’un outil (la caméra mini-dv qui tient dans ma paume) et toutes sortes de données anthropologiques que je véhicule et dont le lieu est constitué (avec la présence d’autrui qui crée des relations dans ce lieu), que je ne maîtrise pas.

« Nous sommes devant les images comme devant d’étranges choses qui s’ouvrent et se ferment alternativement à nos sens — que l’on entende dans ce dernier mot un fait de sensation ou un fait de signification, le résultat d’un acte sensible ou celui d’une faculté intelligible. Ici, nous avons cru avoir affaire à une image familière, mais voilà que, tout à coup, elle se referme devant nous et devient l’inaccessible par excellence. Làautre vision de cette même inquiétante étrangeté —, nous avons éprouvé l’image comme un obstacle insurmontable, une opacité sans fond, soudain, elle s’ouvre devant nous et nous donne l’impression qu’elle nous aspire violemment dans ses tréfonds. Les images nous embrassent : elles s’ouvrent à nous et se referment sur nous dans la mesure où elles suscitent en nous quelque chose que l’on pourrait nommer une expérience intérieure. »

Lorsque "je décide de filmer les iris dans le jardin", j’inaugure l’acte, comme un travail, l’action d’explorer par le regard, de donner naissance à ce regard et à une image (séquence filmée). Ce regard, cette image à venir — s’advenant dans l’expérience du filmage — est aussi une expérience intérieure : dans les relations invisibles que j’aie à la maison, aux personnes présentes en hors-champ qui me sont familières, et au paysage alentour, lui aussi invisible, dans lequel j’ai vécu des moments intenses, lors de promenades, d’échappées belles, dans mon rapport à la nature, à la solitude. Tout ce réseau complexe d’expériences, de connaissance des lieux et des personnes ont nourri ma perception du monde. Tout celales données anthropologiquess’est déposé, d’une manière énigmatique, sans doute, — comme la mémoire transporte son énigme — dans la séquence filmée. C’est ce qui constitue le regard.



« Ouvrir signifie commencer, entrer en exercice. Il y a la naissance dans ce mot, l’image concrète d’un corps qui s’ouvre pour accoucher d’un autre. »



L’acte de filmer donne une épaisseur au présent, ce présent d’1/2 heure extrait dans l’après-midi. Épaisseur, dimension de l’ouverture de mon œil-caméra qui est un regard. Image-entaille qu’appuie le format 16/9ème du filmage même : regard qui refend l’espace, format panoramique, "mode paysage", fente horizontale sur un réel. SIXTINE C. est une entaille faite dans une durée du temps quotidien ; une entaille faite au sein d’un espace familier : l’habitation des parents, lieu de l’enfance, lieu de vacances, lieu des retrouvailles familiales. Entaille dans le temps ; entaille dans les activités familières au lieu, à l’habitation ; entaille - comme on dirait une entorse faite à l’habitude - aux mœurs de la famille : le caractère exceptionnel et particulier de cette activité inédite de "filmer les iris dans le jardin" est une "déshabitude".


« Lorsque s’ouvre le cocon, on appelle imago — est-ce un hasard ? — le papillon qui s’en échappe après sa longue gestation. »





Commencer à filmer c’est partir en quête d’une image dans le lieu qui m’interpelle, c’est chercher à entrer, à franchir l’écran invisible du visible. Le regard explore et s’engouffre dans un détail (un objet : des fleurs : les iris) du jardin (donc, un espace-temps propre à ce lieu). 


« (…) l’image en tant qu’événement, acte, altération où, de part en part, notre corps se trouve impliqué, mis en mouvement.

La déchirure dans l’image fait ici diastole dans un battement rythmique (…).

Car il n’y a pas d’ouverture qui vaille — je veux dire intense, capable de faire événement — sans la fermeture, sans l’obstacle où elle fait effraction. »



Le processus d’altération se présente doublement dans cette vidéographie : par l’épuisement de l’image dans la durée, cette obstination à filmer, à revenir sur le motif de la trouée. L’altération a lieu aussi par ce motif du vide dont les deux fleurs sont l’écrin, dans la zone plane et floue du fond vert au centre de l’image.


D’espace restreint ce périmètre filmé délimité par les iris devient une "image ouverte" : elle englobe avec elle tout ce qui l’entoure et qu’on ne voit pas. Comme si elle absorbait son environnement. "Image ouverte" totalisante : elle englobe les éléments sonores hors-champ qui s’ajoutent aux éléments visibles

et forment un espace dans l’espace.


«  Ouvrir veut aussi dire creuser : creuser un abri, creuser une tombe. (…) Lorsque meurt un homme on organise un espace pour accueillir sa dépouille : on ouvre la terre, on la creuse, on l’organise en écrin de façon à créer l’accès à l’imaginaire pour que le mort, en quelque sorte, recommence une vie et habite son lieu au-delà, sa "demeure céleste". »



"Filmer les iris dans le jardin" est un geste de profanation au sens où c’est aller dans l’image, profaner les limites du visible, mue par une pulsion scopique, une curiosité qui n’est peut-être pas seulement visuelle. La profanation dans l’image est l’ensemble de ces déplacements des frontières du visible, bien sûr, mais aussi franchissement ou du moins exploration des données anthropologiques du lieu où je filme.



« Ouvrir signifie forcer un passage pour accéder aux dedans ou, au contraire, pour briser un enfermement. C’est déflorer et faire fleurir. C’est se mettre en chemin vers au-delà. C’est déployer, étaler, élargir ce qui était reclos jusque-là.  On "s’ouvre à" quelqu’un pour dévoiler l’inavouable, on "ouvre son cœur" pour que la vérité intime devienne l’espace même d’une entente élargie. Cela ne va pas sans difficulté, bien sûr, car ouvrir transgresse. Voilà pourquoi le monde des "images ouvertes" comporte tant d’ambiguïtés, formations de compromis, ou formations composites. »
 

En somme, ma situation dans l’espace de la propriété, dans le jardin, me place au centre du domaine familial : sœur et mère sont à l’étage dans la cuisine ; mon père va et vient dans la cour, du sous-sol à son atelier, en passant près du jardin. Le jardin est un endroit stratégique d’observation de l’habitation. Mon corps debout avec sa caméra dans la paume, devant, parfois cachée par les iris sur lesquels je me penche, autour desquels je me déplace, toujours face-face, nez-à-nez avec leurs têtes, cette distribution des postures et des gestes dans l’espace est un dispositif comme un observatoire. Cet observatoire s’ouvre à l’ensemble du paysage de la campagne présente hors-champ, au-delà des fossés délimitant la propriété, environnement sonore.


« Les images ouvertes sont des objets dont l’efficacité particulière doit être analysée à l’aune de tout un éventail de procédures par lesquelles des sociétés entières réifient leurs fantasmes et leurs désirs en créant des seuils visuels. On s’aperçoit alors que l’image ne vise le même qu’à créer une interminable casuistique de l’autre et de l’entre. On s’aperçoit à quel point elle se plaît à jouer simultanément de la séparation (separare) et de la parure (se parare), deux gestes inséparables dans l’économie du désir. Les images ne s’ouvrent peut être que là où culmine le desiderium, c’est-à-dire lorsque se conjoignent les deux sens de ce mot latin qui signifie d’abord "cesser de voir", puis, dramatiquement, bifurque à la fois vers le deuil (le pathos de l’absence, le pouvoir de la mort) et le désir (le pathos de la quête, la puissance de la vie). »


La fleur elle-même, l’iris en particulier, est un espace doté d’un seuil (dans Sixtine C., il est de couleur safran, sur le bleu) sur lequel vient se poser l’insecte. Avec l’œil-caméra, je cherche à franchir ce seuil, à pénétrer du regard dans le calice de la fleur où l’insecte semble avoir disparu. J’explore les limites à cette pénétration. Mon but n’est d’ailleurs pas, comme on pourrait le réaliser pour un documentaire botanique, de filmer en macroscopie, en introduisant une caméra microscopique dans les tubes de la plante, ou comme on le ferait pour l’imagerie chirurgicale. Mon but n’est pas non plus de trouver une image spectaculaire. C’est l’image de la fleur qui me fait la filmer, la quête de sa (re)présentation dans l’acte du filmage.


C'est aussi un rapport de dimension entre mon corps et ces iris debout sur leur tige que je filme, dans l’intervalle. Je donne à voir aussi une posture spatiale dans l’enceinte de la propriété. Et enfin, recherche de ma place, de ma situation (quelle activité ?) dans la famille au sein de ce temps vacant d’un après-midi.


« Image et ouverture, chair et inconscient sont indissociables comme la matière elle-même est indissociable des intervalles qui la font, justement, tenir ou consister. L’ouverture est dans l’image un fait de structure, un portant, un principe d’animation — ce que j’ai nommé un motif — et non un simple thème à traiter iconographiquement ou typologiquement. Mais il faut affronter ce paradoxe : l’ouverture n’est pas seulement un état de fait ou un "dispositif", comme on dit. C’est un acte, un processus d’altération. C’est donc un fait de structure qui porte atteinte à la structure (voilà, d’ailleurs, exactement ce que pourrait être une définition opératoire, critique et non clinique du symptôme). »



Je choisis, ou plutôt il m’est donné dans l’image elle-même qui se développe sous/avec l’œil-caméra, dans ce temps d’enregistrement et d’attente - de lecture -, de percevoir une trouée formée par les larges pétales, entre les deux iris à touche-touche. C’est par là que s’ouvre une autre image dans l’image, un autre espace. Autour de cette zone intervalle, aux contours ciselés et irréguliers formée par les pétales, s’organise les données sonores qui confèrent à cette zone plane une impression de spatialité. Mon œil-caméra s’entête, obsédé par cette zone ouverte dans l’image, à enregistrer mouvements, sons environnants de l’habitation et du paysage, hors-champ. Je suis en tête-à-tête avec cette forme ouverte, zone vide qui fascine mon regard, comme devant une image-méduse. Cette zone intervalle fait écran, je bute contre, je reste immobile tout en enregistrant le temps qui passe à la regarder comme s’il s’agissait du bouclier de la méduse.





« Une image peut être bien plus qu’une vue lointaine projetée sur un écran ou maîtrisée dans le cadre d’une fenêtre. Ce peut être la vision précipitée d’un espace ouvert où chavire, où tombe notre regard. L’expérience "visionnaire" mise en scène dans la peinture religieuse ne propose ses visions au-delà que comme l’expérience d’une sorte d’autoscopie dans l’en-deçà des apparences ou des semblances corporelles, c’est-à-dire dans l’informe ou le dissemblable même de la chair. Le monde des images n’est pas seulement fait pour nous montrer la "belle face" des choses. Sa puissance consiste bien plutôt à critiquer, à ouvrir cela même qu’il rend visible. À nous faire regarder toute chose selon sa double face, voire son double fond, l’inquiétant qui se trouve juste sous le familier, l’informe qui surgit lorsqu’on décide de refendre l’apparence. »


Cette ouverture, cette trouée qui méduse mon regard devient l’écrin à mon regard (œil-caméra) et crée un accès à l’imaginaire au contact sonore et hors-champ de la maison familière et de tout le paysage.



«  L’image ouverte est, à sa façon, l’image toujours survivante du motif, immémorial et immédiat de l’ouverture. Façon de dire que, dans l’image, les problèmes de spatialité — puisque, aussi bien ouvrir nous dit d’abord une certaine opération sur l’espace — sont inséparables des problèmes de temporalité.



On ne peut comprendre tous ces motifs entrelacés qu’à impliquer la dimension anthropologique des images dans un point de vue métapsychologique capable de ne pas séparer l’image comme objet et l’image comme opération du sujet. (…) On ne désintrique pas l’objet visuel (cette chose concrète de bois, de toile et de pigments, accrochée au mur d’un musée, par exemple [aussi bien l’image numérique projetée sur un écran ou sur un mur dans une exposition – note de S.T.]) du sujet des regards (celui du peintre, du commanditaire, des amateurs qui se sont succédé devant l’œuvre, de nous-mêmes aujourd’hui). On ne désintrique pas l’image de l’imagination et celle-ci de l’économie psychique où elle intervient.»


« L’expression d’image ouverte vise donc une économie très particulière de l’image — la plupart des images qui nous environnent ne proposant qu’écrans, bouche-trous, sutures par le semblant — où formes, aspects, ressemblances se déchirent et laissent apparaître, tout à coup, une dissemblance fondamentale. C’est alors que, selon la profonde remarque de Lacan dans son commentaire sur le « Rêve de l’injection d’Irma », « le rapport imaginaire atteint lui-même sa propre limite », non pas du côté de la symbolisation mais bien du côté d’une réelle altérité,

le « dissemblable essentiel, qui n’est ni le supplément, ni le complément du semblable, [mais] qui est l’image même de la dislocation. » L’image ouverte désignerait donc moins une certaine catégorie d’images qu’un moment privilégié, au contact d’un réel, l’organisation aspectuelle du semblable. »


Au sein même du plan-séquence se joue un mouvement alterné, comme une sorte de clignotement lent, entre absence et présence au/du regard. Il y a des creux, comme des épuisements de l’image, une altération du regard dans l’action de filmer. Mais filmer encore (effet de répétition et de durée) malgré tout (traversée d’une épreuve), dans l’attente d’un événement, d’une ouverture dans ce passage creux, épreuve de l’ennui dans la quête d’on-ne-sait-quoi.



Ce jeu, ce rythme d’ouverture/fermeture à lieu dans le filmage quand mon regard se décentre de la zone qui l’attire, la trouée, pour voir autour, sur le bord d’un pétale (insecte), derrière la fleur (son dos ?), ce qu’il y aurait à voir. Puis, l’œil-caméra revient à la position frontale avec ce motif des deux iris à touche-touche qui forme la trouée, figure plane aux contours irréguliers. 


Cette trouée est aussi une zone d’absence dans l’espace et dans le temps : à force d’être scrutée, l’image s’absente, se troue, comme un regard s’absente en se perdant dans l’espace, greffé sur un point sans le voir, le regard "perdu dans ses pensées", suspendu dans une sorte de no-man’s-land de la conscience (subconscient ou inconscient) regard décroché de la conscience de l’espace et du temps, détaché du réel, comme s’il n’était plus présent au réel où il est situé. 
 




« C’est ce qui se passe, par exemple, lorsque Freud, dans l’analyse de ce rêve de regard et de peur qu’est le « Rêve de l’injection d’Irma », redit que « la bouche s’ouvre bien alors » pour confier sans transition, son « sentiment [qu’] il y a dans tout rêve de l’inexpliqué » en ce que l’image violente qui y survient « participe de l’inconnaissable. C’est ce qui se passe lorsqu’une patiente schizophrène confie son impression tout à la fois aspirante et crucifiante : « De regarder le trou — j’ai l’impression de l’avoir touché ». Voilà bien où l’ouverture ne se sépare pas de la chair, selon une économie plus générale que Paul Schilder a commencé d’analyser sous l’angle d’une esthésie primordiale de l’espace : « L’espace primitif […] est centré autour des orifices du corps [en sorte que, par exemple,] les dimensions de l’espace sont modifiées autour des zones érogènes. » Il revient à Ludwig Biswanger d’avoir, dans les mêmes années 30, proposé un cadre d’intelligibilité susceptible de nous faire comprendre comment les modifications pathiques de l’espace peuvent en configurer les qualités esthétiques. »


Dans la durée du filmage, à revenir sur la trouée, c’est ce phénomène d’absentisation (le fait de s'absenter), ce processus de la perte du regard qui se produit. Une absence à l’espace et au temps où l’œil-caméra poursuit son enregistrement sans y être, pensant à autre chose — peut-être à ce phénomène du voir troublé — s’extrait de l’image qu’il enregistre alors qu’il s’y perd (dedans). Ce trouble est un brouillage des repères de la présence. On perçoit alors ce processus d’absentisation du regard dans l’image.



« C’est, au fond, comme si l’on demandait au spectateur de toutes ces images, non seulement de les voir et d’en capter la signification, mais encore, pour les méditer réellement — « expérience intérieure » —, de les dévorer du regard, de se repaître de leur ouverture. »



12.9.10

La biche (ce que voit)

19 min _ août 2010
coul. _ 16:9 _ mini-dv _ 1 plan-séquence

"Méditer, c'est imiter l'animal qui rumine (ruminatio), et qui pour cela est nommé pur." Saint Augustin, Discours sur le Psaume 141



Histoire d’un regard comme un animal sur la berge de l’étang. L’œil-caméra pénètre dans des détails du paysage prélevant autant que peignant des plans de lumières, de brumes d’insectes… qui se mélangent aux reflets de l’eau. Durée lyrique, quête d’une profondeur picturale qu’accompagne la musique des lieux.
Dispositif de visionnage
: en projection ou sur écran lcd, avec de bonnes enceintes, dans un lieu insonorisé ou calme afin de percevoir les correspondances de l’image et du son.



II.2.1. Ruminatio

"La lecture à voix basse, appelée murmure ou rumination (ruminatio), sert de support à la méditation et d'instrument de mémorisation. Jusqu'à la Renaissance, on pratique en effet surtout une lecture intensive d'un petit nombre de livres (essentiellement religieux) qui sont quasiment appris par cœur, voire incorporés par le lecteur. Ce type de lecture est dominant jusqu'au XIIe siècle. L'écrit est surtout investi d'une fonction de conservation et mémorisation."

Laurent Jenny, Dpt de Français moderne – Université de Genève,
© 2003
in Histoire de la lecture
Edition: Ambroise Barras, 2003-2004








































Les 10 premières minutes :