À propos de « La Vision de Jean de l’Alverne »
10 min _ I-2012
10 min _ I-2012
coul. _ 16/9 _ muet _ mini-dv
d’après Les Fioretti de Saint François d’Assise
(Traduction : Lucienne Youénou – Edizioni Porziuncola)
mise en forme du texte sur un plan-séquence du lac de Saint-Agnan – tableau 2
Conte enluminé
Enluminure vidéographique
Si vous ne voyez pas dans mes vidéographies le processus du montage typique du film cinématographique, c’est bien parce que ce n’est pas du cinéma(tographe).
Oui, la
vidéographie est un fond dans « La Vision de Jean de l’Alverne » sur
lequel se détache les bribes de phrases apparaissant-disparaissant. Mais ce
fond est animé, de par-lui-même, ces plans d’eau et de
lumière vivent tout seuls sans que je n’aie besoin d’intervenir par un montage.
Le plan-séquence est le développement naturel du mouvement naturel. Seul s’y
ajoute le mouvement de mon corps s’efforçant de tenir la caméra dans la paume,
la retenant des doigts de l’autre main, pour en réduire les vibrations, les
à-coups. Les quelques zooms sont « réglés » avec parcimonie. Réglés : une règle inhérente au filmage, de faire
avec son corps filmant, réduisant, tant que faire se peut, les mouvements
naturels du corps agissant, dans une forme d’immobilité, le filmage. Le corps
n’étant pas statique mais vivant, respirant, il peut y avoir des vibrations,
des ondulations, des à-coups se transmettant à l’image. Et ils en affectent
l’image, ont un impact sur elle, sur le sens qu’elles prennent alors. L’image
est touchée par le mouvement naturel du corps. S’il y a fatigue à être restée
quasi-immobile pendant quarante minutes, le heurt possible, probable même, sera
plus intense. Comme un geste qui décharge une tension, tout à coup, soudain, le poignet tressaute, comme un déraillement du geste, et
l’image est violemment malmenée. Ce qui était hors-champ surgit. Le périmètre
filmé est dévié, la frontière du cadre plus que brouillée : violée. Mais
aussitôt le geste cherche à se rééquilibrer. Car ce sursaut, cet à-coup de la
caméra est un hors-geste. Ce n’est pas un geste de filmage, mais la
conséquence de la position quasi-immobile de la prise de vue qui dure dans le
temps. Cet à-coup nerveux du poignet qui viole l’image est aussitôt rétabli par
la volonté du geste, qui retourne au cadre brusquement. Ce moment-là du filmage
fait sens pour l’image malmenée et fait sens au sein de la séquence du plan
filmé dans la durée. Le sursaut involontaire est un événement dans la durée. La
contemplation est alors comme un sommeil, comme l’entrée dans le sommeil. Et
soudain, n’avez-vous pas connue cette expérience commune du sursaut du corps
s’endormant qui tressaute soudain, comme par une décharge électrique et
s’apaise aussitôt pour rejoindre la durée du sommeil. On est alors réveillé par
cette décharge dans tout le corps mais aussitôt, comme si un seuil se
franchissait, nous sommes engloutis dans le sommeil qui poursuit son œuvre sans nous en nous. Nous nous abandonnons donc à une durée que nous ne
maîtrisons pas dans le sommeil. Le terme de « contemplation » que
j’utilise jusqu’à maintenant, non pas par défaut de trouver mieux, peut-être un
jour, est à entendre comme « cum » « templum », « avec »
« l’espace délimité dans le ciel, dans l’espace qui le dépasse, plus vaste
que lui, ce lieu délimité, ce périmètre rendu sacré par le cadrage », par
la mesure du cadrage. Ce carré, ce lieu délimité, cadré dans l’espace qui
l’excède. Contempler quand je filme c’est être concentrée dans
l’observation minutieuse, dans une attention extrême de ce qui s’agite dans ce
périmètre spatial délimité par le cadrage. C’est cela la
« contemplation » en vidéographie. C’est être attentive et dans l’exspectatio. Dans l’attente d’un événement extérieur à soi, dans cet
espace extérieur délimité dans lequel je projette mon attention qui est
visuelle, mais aussi intérieure. Ce cadre qui filme à l’extérieur est autant un
espace que je rends disponible en moi pour accueillir cet extérieur-là. Comme
deux vases communiquant. Ce n’est pas un simple enregistrement de l’image par
une machine. La caméra n’est pas une machine à enregistrer. Elle n’est pas tout
à fait extérieure à moi. Je suis aussi à l’intérieur de la caméra. La chambre
intérieure, mon être, filme. La petite caméra dans la paume est un objet
organique. Elle fait partie de mon organisme, de mon corps. Elle est une
extension extérieure de mon attention intérieure. Contempler avec la caméra
c’est opérer cet échange, ce repons, comme un chant sacré, entre le dehors
délimité que je filme et mon intériorité qui est présente au lieu. Ma présence
au lieu se réalise au sein du filmage, dans ce temps-là qui semble immobile. Il
y a des transferts, des échanges entre mon intérieur et ce que perçoivent les
sens par le biais de la caméra. La caméra enregistre cet échange vivant et est
l’objet même des possibles tensions du filmage. Elle est l’instrument de la
contemplation. Elle est traversée par les fluides qui viennent du lieu, comme
la lumière, les sons, les mouvements multiples de la nature (s’entend aussi
bien du réel, la nature comme réalité
extérieure à mon corps). La caméra est aussi le vecteur de mes propres
mouvements, à première vue purement mécaniques, comme ces sursauts nerveux du
poignet, ou quand je décide de faire un zoom. Mais ces mouvements venant de mon
corps ou de ma décision, affectant la caméra et donc affectant l’image qui en
résulte, n’est pas seulement mécanique. Ce type de mouvement provenant de moi
(mon corps et ma volonté) donne sens à l’image en l’affectant dans son cours,
sa durée contemplative. Le heurt désarçonne le regard. Comme dans l’entrée dans le
sommeil le sursaut nerveux électrise tout le corps et au lieu de le réveiller
tout de bon l’entraîne dans l’abandon au sommeil, dans cet autre temps du
psychisme. C’est comme un seuil, un palier. Et le sens donné à l’image
séquentielle évolue, se modifie soudain. Au sein de la durée qui frôle
l’endormissement, qui frôle la mort, le sens est rendu, un sens nouveau est
donné dans la durée, provoqué par ce jaillissement involontaire d’énergie.
Tout ce que je dis-là, je le pense particulièrement
pour « La Vision de Jean de l’Alverne ». Le
plan-séquence du lac de Saint-Agnan choisi est le fruit de 40 minutes de cette
contemplation de la surface du lac. Ce sont les 10 dernières minutes, la
fatigue s’étant accumulée, les sursauts sont vraiment le fruit de la
concentration du geste de filmer qui cède.
Le hors-champ imposé par la fatigue du poignet. Et la rencontre de ces sursauts
brusques avec l’objet filmé donne un sens très fort à l’image. Le rocher prend
de l’importance quand le cadrage est dévié sur la hauteur des arbres. Les
arbres prennent soudain un relief, un sens très fort alors que ce qui était
jusqu’alors montré, donné à voir, c’était l’eau scintillante, le ruban de
lumière s’intensifiant à la surface du lac et la présence de ce rocher. Tout à
coup, les arbres dans la lumière verte ! Le rocher est bousculé, tombe du
cadre et le cadre bute en haut vers les arbres, sur les arbres. Cela fait sens,
ce mouvement de caméra involontaire fait sens.
Et après, il y a
le montage du texte de la vision de Jean au mont Alverne près d’Assise, sur ces
images du lac de Saint-Agnan en Bourgogne. Mais alors, parler de ce texte et de
ce montage des vers sur l’image en mouvement, se détachant comme d’un fond
enluminé, nous mènerait ici ailleurs, et je clos là ma réponse, la méditation
sur la vidéographie pour Michel Farin.
Vendredi 10 mai 2013, 8h10 du matin.
Réponse
partielle suscitée par la lettre du 17 mars 2013 de Michel Farin, en réponse à
la mienne, précédente.